PROSE

LITTÉRATURE

 

Les Vedas sont les plus anciennes créations littéraires de l'homme.

De nos jours le mot 'littérature' est appliqué à des écrits griffonnés pour passer le temps. Ils n'ont aucune valeur ou signification intérieure, ils détruisent les traits de bon caractère du lecteur et implantent de mauvaises attitudes et habitudes. Ils n'adhèrent pas à la voie de la Vérité. Le terme 'littérature' ne peut être appliqué à des écrits ou poèmes qui débitent des histoires fausses. Elle ne devrait pas surgir des fantaisies égoïstes de l'individu.

 Sathya Sai Vahini    p 237, Sri Sathya Sai Baba,

éd. Sri Sathya Sai Books & Publications Trust

JUSTE AVANT L'AURORE TERRESTRE

ROMAN

La couverture finalement retenue

La couverture initialement proposée

Quatrième de couverture

Il y a le meilleur, céleste : l’esprit d’Arthur Rimbaud qui survole un car de rhétoriciens en excursion dans ses Ardennes ; parmi eux, en communion avec lui, Amandine, son amoureuse, attirée par ses hauteurs. Elle “ vit ” Rimbaud, capable qu'elle est par instants comme son père de double vue pour ainsi dire : des yeux internes qui sous le choc voient mieux encore ce que ne peuvent voir les trop petits du dehors, qui croient voir. Bien sûr les psy parleraient plutôt de psychose…. Puis il y a le pire, le viol de la jeune fille, suivi du dedans, depuis son avant jusqu'à son après; en filigrane, celui, endémique, d'une humanité Belle au bois dormant, qui devrait bientôt finir par se réveiller, se libérer, voir l'aurore, déboucher sur le meilleur, terrestre : la mise au vert, le retour au père nature, la lente remontée, la guérison en profondeur, comme accélérant l’aurore terrestre, le réveil, la libération de l’humanité terrestre.

Roman éclair d'anticipation dès lors, de quelques années, se risquant à esquisser l'humain tel qu'il sera une fois debout, au début de sa  remontée, quand la science-fiction sera de nouveau la science, quand tout redeviendra un et recommencera par le commencement, l'esprit, plutôt que par la fin, la matière…

 EXTRAIT

Chapitre III

Au loup-garou !

 

Derrière un buisson, à un enfer de distance, deux ou trois mètres au plus à présent, des yeux de loup fixaient la délectable.

In extremis, quelques feuilles en bruissant au passage de la bête, une branche morte en craquant sous les pattes lestes tentèrent de ramener sur ses épaules la tête vagabonde de la belle, mais celle-ci préféra croire à la plaisante complicité du vent.

Deux bonds et le fauve fut sur sa proie, qui s’écroula sous le choc en hurlant une insondable terreur, avec des soubresauts de poisson pêché. De l’extase à l’horreur, sans transition !

Mais déjà cloué au sol par la rage meurtrière, genou dans les reins, serres à la gorge, tout au plus à trembler encore sous le poids de l’inhumain, ce corps qui n’était tout à coup plus qu’un corps, et certes son esprit spectateur se garda bien de démentir, de réintégrer habitacle à ce point mis à mal. Respirer, respirer ! sonna seulement l’urgence.

Disons qu’il se mit à l’abri de la tourmente, l’esprit d’Amandine, plus qu’à bonne distance, sur une fréquence inaccessible à la torture, comme chez tous les suppliciés du monde.

C’est donc sur une coquille vide que l’étau de ces semblants de mains se referma, il n’empêche que c’est toute la noblesse et toute la grandeur d’un projet humain qu’en s’affalant la mâle puissance déchira en déchirant cette vulve, de quelques secousses, avec quelques grognements, en quelques secondes, éternelles. Il y a juste que les ahans fébriles du jouisseur n’allaient plus cesser de résonner jusqu’au fond de la mémoire de sa victime, il y a juste que la violence du plus vrai des cauchemars n’allait plus cesser de violer la vierge. Il y a juste que tout soudainement la planète s’était dérobée sous les pieds d’Amandine, qui dès lors tomba, vertigineusement, interminablement, dans un gouffre sans fond, au travers de bouillonnements de lave brûlante qui n’en finirent plus de la consumer…

Mais le bourreau, lui, était déjà debout, plus que lucide, tout à ses invisibles commanditaires, délicieusement repus, qui tenaient à préserver aussi dévoué serviteur : sur-le-champ l’ombre s’enfuit donc se refondre parmi toutes ces autres ombres qui lui allaient si bien, abandonnant sans un regard, sans une pensée, comme une dépouille sur un lit d’herbes et de fougères, comme un ventre découvert, mortellement figé.

Pour sûr, au plus sacré de cette pousse d’âme, rasé le château de l’enfance qui monta jusqu’au ciel des anges, où les fêtes de la candeur avaient multiplié les bienheureuses surprises, où, bien à l’abri des censures des gens d’âge raisonnable, mille insignifiants prodiges et autant d’autres anodines fantaisies avaient à jets continus lancé l’éblouissant feu d’artifice d’une réalité qui ne pouvait encore descendre sur Terre.

Combien de temps, silencieuses dans leur habit de deuil, les fleurs de la colline et leurs bons génies veillèrent- ils la grande sœur déracinée ? Combien de temps aussi ses grands yeux ouverts ne virent-ils plus que le néant ? À tout le moins, son temps à elle passerait autrement désormais, laisserait toujours traîner derrière lui un peu de peine. On pouvait donc mourir tout en paraissant demeurer en vie, c’est en tout cas ce qui fut inscrit cette nuit-là, au fer rouge, dans l’âme d’Amandine…

L’HOMME COSMIQUE

Théâtre

SUJET

Un homme, Stéphane, une femme, Justine, un homme-femme, Loulou, forment un triangle un peu particulier et la situation de départ est elle-même plus que particulière : l’aube, un studio très dépouillé où dorment Stéphane et Justine sur un matelas par terre. Au fil des intrusions Stéphane va de plus en plus se dévoiler et intriguer d’une façon très cosmique…

EXTRAIT

Dès lors que le site d’Edilivre permet de lire le début jusqu’à la page 30, soit jusqu’au milieu de la scène 2 de l’acte I, voici l’intégralité de cette scène 2.

SCENE 2

JUSTINE et STEPHANE

 

JUSTINE (se levant pour passer ledit peignoir) - Quel homme es-tu donc pour ainsi ridiculiser, et devant des flics en prime, quelqu'un dont tu as submergé le cœur des espoirs les plus ardents? Pour ma part, le retour sur terre a été si brutal que je reste prise de vertige. Et que signifie cette intrusion? Que viennent-ils faire ici, ceux-là? A vrai dire je ne sais plus que penser.

STEPHANE - Allons, cesse de dramatiser, simple manque d'entraînement dans ton chef, tu as jusqu'ici mené une vie tellement bourgeoise, tellement artificielle, tellement routinière en un mot que par contraste le moindre choc t’apparaît désormais comme fatal alors qu'il t'est en fait salutaire.

JUSTINE - Tais-toi! Hier encore tellement galant, tellement maniéré, prévenant, attentionné, tellement tout ce qu'une femme peut souhaiter, et maintenant ce cynisme tout subitement, ce comportement que je ne sais même pas au juste comment qualifier! Quel parfait comédien tu fais ! Et puis non, les mots sont impuissants. Ah ça, pour ce qui est de sortir de la routine! Moi qui croyais connaître les hommes...

STEPHANE - Là encore tu exagères à plaisir, je suis joueur, voilà tout, c'est plus fort que moi, j'aime, face à une situation aussi déplaisante que celle-ci, recourir à mon arme favorite, la jonglerie verbale, et à la violence de l'assaut qui m'est fait répondre par celle de l'ironie qui désamorce. Aurais-tu préféré par hasard que je m'emporte et t'encourage à l'hystérie?

JUSTINE (qui est entrée dans la salle de bains sans en fermer vraiment la porte) - Tu ne m'en feras pas démordre pour autant, si ma vie peut te sembler vide, c'est toi-même qui à moi sembles vide. Oui, pour moi tu n'es qu'une tapisserie dont les chatoyantes couleurs ne sont que pour mieux tromper, et toi-même en premier!

STEPHANE – Libre à toi de penser que je suis vide parce que je ne suis pas plein de ce que tu as coutume de trouver chez la concurrence. Tu cherchais, m'as-tu confié au départ, autre chose que je peux nommer l'aventure, même si, j’en conviens, celle que je te propose ne court pas les mers lointaines et les pays exotiques, bien trop intérieure et trop fine même pour être découverte et cernée du premier coup d’œil. Ne me condamne donc pas trop vite ! Sur le plan de l'originalité, avoue au moins que tu es servie.

JUSTINE - Ah pour ça oui ! Mais cette originalité-là n'est assurément pas celle dont je rêvais, la petite bourgeoise que je suis à tes yeux était prête, ne t'en déplaise, à passer sur bien des désagréments et des inconforts pour vibrer enfin au contact de l'amour grandeur nature, mais au bout des plus somptueuses promesses le sol se dérobe sous mes pieds et je tombe dans un gouffre sans fond!

STEPHANE– Attention, chute de cœur !

JUSTINE – Tu as de ces mots !

STEPHANE - Que sais-tu de cet autre doux enfer, de celui que je vécus avec ma propre compagne, toi qui as pu croire que le tien seul valait le détour, toi qui te veux trop petite encore pour voir plus loin que le bout du tien?

JUSTINE – Et toi qui fus bien trop à toi pour voir en moi autre chose qu’un morceau de choix à déguster sans attendre !

STEPHANE– Et moi je dis que cela t’a fait du bien de pratiquer la musique de chambre dans un nouveau duo!

JUSTINE – “Illusion d’une nuit”, ainsi pourrait s’appeler la sérénade que tu me donnas d’exécuter, si courte !

STEPHANE– Tu ne sais rien de ce qui m’a rendu libre de te rencontrer .

JUSTINE – Je sais seulement que tu me fais peur, et pour je ne sais quelle obscure raison, toi qui m’arrivas léger, ailé comme la liberté !

STEPHANE – J’ai dû mal me poser sans doute.

JUSTINE – Toute une nuit, rien qu’une nuit à croire, follement, retrouver ce que mon très expert fiscal de mari avait eu tôt fait d’effacer, à me faire, lui, l’amour aussi méthodiquement que le total des colonnes d’un facturier de sortie. Et me voilà tout à coup fleur à papillon !

STEPHANE – Joli contraste !

JUSTINE – Joli papillon tout à voleter de fleur en fleur, si difficile à attraper.

STEPHANE– Le printemps dans notre microclimat !

JUSTINE – Non déjà l’automne comme au-dehors, et sans crochet par l’été.

STEPHANE -Tu es injuste, Justine ! Tout cela parce que tu as été réveillée en sursaut par le tonnerre et les éclairs bleus d’un double orage aussi brutal que passager !

JUSTINE – Non, il y a autre chose, j’en suis sûre, bien autre chose entre toi et moi que l’ombre de quelques nuages pressés, mais c’est si confus encore.

STEPHANE – Voilà sans doute pourquoi, tout au long de ces heures de tendre complicité, je t’ai trouvée désespérément belle !

JUSTINE – Tu ne te trompais pas, mon preux romantique ! Après t’avoir toutes ces heures durant vainement cherché amoureux sous ton amour, je ne vois pas ce que je pourrais encore espérer de toi !

STEPHANE– Comme tu vas vite en besogne, de démolition ! Je sais, tu aurais tant voulu que je descende jusqu’à toi quand je ne pense moi qu’à monter et faire monter plus haut que le ciel ! Et si j’ajoutais malgré tout cette précision ? Je n’ai pas été dupe, même si je n’ai pas répondu à l’attente : ne t’en déplaise, j’ai fort bien entendu, mine de rien, crier ta souffrance par-dessus les exubérances de la fête viscérale ! Et si au moins je l’ai pu, cela, c’est parce que je suis, depuis belle lurette, entraîné à isoler du tintamarre du monde les sonorités qui font écho à mes propres appels de détresse !

JUSTINE – N’y aurait-il donc plus d’hommes qui soient des hommes ?

STEPHANE– N’y aurait-il donc plus d’hommes qui protègent tant qu’ils permettent de tout esquiver ? N’y aurait-il donc plus de machos assez machos pour ravir celles qui disent avoir en sainte horreur les machos ?

JUSTINE - Moi qui t’avais pris pour un homme tout simplement, de surcroît gai luron, sur qui pouvoir me reposer un peu du trop de mes fardeaux de faible femme, et peut-être même plus qu’une nuit, voilà que je me retrouve plus baudet que jamais, sous double surcharge, toi en plus de moi… Comme on peut se tromper décidément ! Aurais-je demandé la lune ?

STEPHANE– Tu ne veux aimer qu’un homme, moi, je veux aimer bien plus qu’une femme ! Je t’ai fait l’amour du corps pour te trouver au-delà du corps ! Veux-tu que je te dise, Justine de peut-être une seule nuit, ce n’est pas un mince exploit de faire l’amour plutôt que la guerre sur une planète de guerre comme celle-ci où l’amour lui-même n’est hélas le plus souvent qu’une forme de guerre ! Que d’histoires d’amour sans amour ici !

JUSTINE – Comme si tu pouvais comparer, comme si tu étais allé voir ailleurs ! Mais que m’importent à présent tes élucubrations !

STEPHANE – Il me semble à moi t’avoir davantage surprise que déçue, tant il est vrai qu’à la faveur de l’intimité je n’ai pu m’empêcher d’être un peu plus moi-même. Tout ce que tu te disais désirer, c’était un petit homme de la terre à ta mesure, restant bien chenille à ras de terre comme tous les autres, et voilà que tu découvres un papillon, cosmique ! Espèce rare s’il en est ! Et la voilà nommée sans détour, ta peur ! Assurément il y a de quoi perdre quelques repères…

JUSTINE – Déjà que tu sois bisexuel.

STEPHANE– Quand je voudrais être neutre.

JUSTINE – Maintenant que je connais ton appétit lorsque tu es à table, je ne te vois pas jeûner de sitôt !

STEPHANE– Je ne fais pas les choses à moitié.

JUSTINE – Bien que tu te coupes en deux, transsexuel qui s’ignore !

STEPHANE– Supra sexuel, je préfère, au-delà des sexes sans renier ma double appartenance.

JUSTINE – Et compliqué avec ça !

STEPHANE - Mieux encore androgyne, masculin et féminin comme tout le monde, spirituellement, fondamentalement, mais consciemment comme très peu encore, mais activement androgyne comme quelques créateurs hâtivement répertoriés homosexuels parce que trop en avance sur leur temps et ses clivages bornés.

JUSTINE – Ta révolution sera donc sexuelle !

STEPHANE– Le sexe jusqu’à plus sexe ! Demain l’humain terrestre sera androgyne ou ne sera pas !

JUSTINE – Prophétie de Stéphane Nostradamus. Humain terrestre, comme s’il y en avait d’autres ! Décidément, tu y tiens à tes études comparatives !

STEPHANE – Il y a tant d’autres humains, et d’une telle variété, si tu savais !

JUSTINE – Tout le monde sait ça, voyons ! Eh bien, après m’avoir soûlé d’espoirs insensés, voilà que tu n’arrêtes plus de me soûler d’hermétiques délires, moi qui ne demandais qu’un peu de bonheur, tout bêtement terre à terre à la rigueur!

STEPHANE – Bien terre amère ! Et moi j’aurais voulu te donner mes ailes de papillon, à toi qui veux rester chenille !

JUSTINE – Arrête ! Ce qu’il y a de sûr en tout cas, c’est que tu me donnes la migraine à présent, et bien justement comme mon cher mari ! Retour à la case départ. Lui m’ennuie trop et toi trop peu, autant de lui je peux faire le tour en un éclair, autant tu es sans prise, mais le résultat est le même.

STEPHANE – Détrompe-toi, à ton insu je t’ai aidée à te trouver à travers moi, à ton insu j’ai commencé d’exaucer ton vœu le plus fort et le plus secret, je t’ai offert bien mieux que Rolls, villa, piscine, rubis, diamants et montagnes d’or, je t’ai rendue à ta véritable nature, aérienne ! Pouvoir bientôt voler ensemble, vraiment s’envoyer en l’air, douce chenillette !

JUSTINE – Raconte bien ce que tu veux, moi je persiste et signe : je n’en demande pas tant, j’étais venue chercher la paix, la douce paix du cœur au creux d’un autre cœur et tu m’apportes, quoi que tu penses, la guerre, oui une façon de guerre. Tu n’arrêtes pas de me déconcerter, de me déchirer, de me diviser, de m’opposer en moi-même !

STEPHANE – Petite fille qui se croit grande, qui ne veut plus jouer !

JUSTINE – Mais toi tu joues trop, avec des jeux de trop grands !

STEPHANE - Tôt ou tard, il te faudra pourtant bien oser refaire ce qu’il te semble n’avoir jamais fait, le temps s’y prête, et la Terre elle-même. Que tu le veuilles ou non tout change, même elle. C’est si vrai que bientôt même l’impossible ne sera plus que difficile, avant d’être notre nouvelle routine, en bas de nouveaux impossibles !

JUSTINE – Cesse de m’égarer dans tes dédales, c’est toi et toi seul qui es impossible!

STEPHANE – J’aurais tant voulu te faire partager la merveilleuse angoisse du véritable pionnier, devant les infinis des espaces intimes que nous sommes tous destinés à plus que conquérir, à devenir !

JUSTINE – Question angoisse, je suis servie, pour l’émerveillement les convoyeurs attendent !

STEPHANE – Sache-le bien, chère Justine, personne n’a moins envie que moi de rire ou même de pleurer, car si je ris, c’est pour ne pas pleurer, et si je pleure, c’est pour ne pas hurler, et si je hurle, c’est pour ne pas tuer, ne serait-ce que moi-même pour commencer ! Et remercie-moi de ce que je t’ai seulement troublée quand j’aurais voulu te bouleverser, t’emmener voir aussi, au mieux, du plus haut des airs, le plus bas de la Terre, le fond du chaudron de son enfer !

JUSTINE – Je cherchais un fou d’amour et j’ai trouvé un fou tout court, sauve qui peut, revivement le fol ennui de mon mâle attitré s’il n’est pas trop tard !

STEPHANE – Fou que je suis, oui, de t’avoir estimée capable de faire un bout d’inconnu en ma compagnie ! Sauve-toi donc, et vite, toi qui es trop faible encore pour écouter davantage que ta propre musique, et je ne t’en veux même pas, tant il est vrai que je ne peux pas te demander ce que j’ose à peine me demander !

JUSTINE – Ma pauvre verge martyre ! Avoue plutôt que, comme tant d’autres auraient fait à ta place, tu ne m’as attirée à force de bobards que pour mieux me rejeter après usage hygiénique, bien classiquement ! Je vais bien finir par connaître la vie à ce train-là, et par prendre les hommes pour ce qu’ils sont !

STEPHANE– Non, Justine, je ne t’ai pas exploitée, grands dieux non, même si cela t’arrange bien de penser le contraire, j’ai seulement voulu exploiter le jeu de l’amour, et à seule fin de te donner bien plus que ce plaisir que tu appelles emphatiquement bonheur, oui, j’ai seulement voulu te présenter l’orée du vrai bonheur, la lucidité ! Si lourde, c’est vrai, de prime abord, mais incontournable !

JUSTINE – Ne dirait-on pas à t’entendre que tu en es à porter la Terre elle-même sur tes épaules, mon pauvre Atlas de poche !

STEPHANE– Non point, il s’agit d’un poids que nulle balance ne peut peser, poids de conscience, mais qui ouvre sur le large, sur l’immensité de la puissance d’être !

JUSTINE – Faudrait savoir, c’est lourd comme une plume ou léger comme un bloc de pyramide, tout ça ? Eh bien, pour avoir la réponse je reviendrai aux calendes grecques si ça ne te fait rien car d’ici là je vais avoir à faire, moi, et déjà là maintenant tout de suite, car j’ai ne serait-ce qu’à finir de m’habiller, si tu permets, ne serait-ce que pour être présentable à la vue des deux comiques troupiers de service ! Comme si je n’avais déjà pas assez d’un clown triste, plus que triste même, philosopheur !

STEPHANE– Je t’ai donné beaucoup l’air de rien, j’aurais souhaité meilleur retour.

JUSTINE – Mais tu as reçu, tu as reçu, mon vieux, et plus qu’un bon pourboire pour ton show, tant pis si tu as la mémoire courte !

STEPHANE– Tu as peut-être raison, tenons-nous donc pour quittes, au vrai je n’ai jamais fait qu’espérer malgré moi, que me jouer un mauvais tour de plus !

JUSTINE – Et à moi accessoirement, tu l’oublies aussi déjà mais c’est vrai, comment pourrais-tu m’oublier, moi, puisque je n’ai même pas commencé d’exister à tes yeux !

STEPHANE– Ne te fais pas mal comme à plaisir en voulant me faire mal !

JUSTINE - Ce que j’ai hâte de retrouver mes enfants, qui doivent se demander où je suis passée !

STEPHANE– Ne te fuis pas en eux ! Ce ne sont plus des bébés !

JUSTINE – Bien. Quelle heure est-il ?

STEPHANE– L’heure de nous séparer, dirait-on.

On frappe à la porte, on entend des voix :

GEORGES – Alors ça y est, on peut enfin rentrer ?

JUSTINE - Je ne voudrais pas priver une seconde de plus le brillant illusionniste que tu es de son nouveau public. Mais la suite de ton numéro, je confirme, tu le joueras sans moi. Salut la compagnie !

DES SECTES À L’AVATAR

AUTOBIOGRAPHIE

Quatrième de couverture

 

C’est l’histoire aussi vraie qu’invraisemblable parfois, d’un petit villageois « pas comme un autre » qui n’arrête pas de perdre et de vouloir retrouver, à mesure qu’il s’enfonce dans le jour de plus en plus nuit des “vrais” autres, l’heureuse intimité de l’aurore prime enfance avec un compagnon de rêve qu’il appelle naturellement Dieu Jésus-Christ, et par là même de vouloir se retrouver, se comprendre, lui et tous les autres "lui" de surface. Famille, écoles, de plus en plus hautes, armée, travail, amour, hôpital,…tous ces conditionnements ordinaires, toutes ces prisons ordinaires l’en éloignent inexorablement. Le fil relieur en devient si ténu le plus souvent que quasi invisible, tout en réapparaissant par moments, si fort même à onze ans quand son curé lui montre la voie directe, lumineuse du sacerdoce.  À l’extrême opposé, cette mort sur pied, nerveuse, à dix-huit ans. Drogué à son insu, légalement. Pour le déprimé de fond, plus qu’à chercher le miracle de la guérison et de la résurrection, jusqu’au fond de deux sectes, ces super conditionnements super mirages. La libération néanmoins, en deux temps, partielle par ce couple transcendant, positivant, révélateur, notamment d’incarnations, chocs à l’endroit, préparant la finale et totale de l’Avatar !

 

HYPERSYNOPSIS

1078 pages

XXI Chapitres

 

I LA VIE DE CHÂTEAU - Divine innocence solitaire jusqu’à 5 ans.

II COMMUNIONS SOLENNELLES - L’église du village la prolonge, l’école primaire l’en détourne.

III TRANSES - À l’athénée de Waremme cinq professeurs m’apprennent l’humanité, savant compromis.

IV COUPE DE FOUDRE -   Entre le secondaire et l’université la puberté foudroyante et slave.

V UNIPERVERSITÉ - La fin au début, la plus que mort à 18 ans : la dépression pour longtemps au bout de stupéfiants fortifiants mais « Le matin des magiciens » au milieu de la nuit.

VI PSY - La psychiatrie pour m’achever, me condamnant à dix ans de psychotropes et narcoses.

VII KAKI - Le défi du service militaire et thérapeutique. Ce bouleversement musical sans réponse trente ans durant…

VIII FILLE DE LA JOIE - Autre thérapie, l’amour professionnel, sur fond de yoga, mélange des genres.

IX CONTRITBUTION - Découverte, amère, du travail, du monde contributionnaire et de son secret…

X MATRIMOINE - La possession maternelle est remplacée par la possession conjugale.

XI INFAMILLE – Libération psychotropique contre enfermement marital et paternel.

XII BANCO - L’effondrement financier en plus des autres fait changer de monde, entrer en secte guérisseuse.

XIII   LUNE DE FIEL – Déséquilibre à l’envi, le pire et le meilleur en même temps, comme jamais : le verbe guérit et détruit.

XIV L’ÀGE MORT - 01-01-1980, l’âge d’or prophétisé n’est pas au rendez-vous. Mort du guru bien plutôt, vie sans vie dans les décombres de la secte jusqu’à rapt par guru d’une autre secte.

XV  SS3 - Après le catholique et le guérisseur, l’envoûtement ufologique de Super Secte 3 : accueilli en Nicolas II par sosie de Raspoutine ! 

XVI LOUIS-NICOLAS 18 - Voyages sans frein dans l’espace et le temps, l’ivresse et la peur. “J’ai vécu sur deux planètes” de Phylos s’y revit, Louis XVI et Nicolas II ne font qu’un avec lui, avec moi!

XVII NID DE VIMÈRE - Tenir, quitte à y crever, dans ce nid de vimère, jusqu’à vraiment savoir, maintenant ou jamais, unique obsession.

XVIII GUERRE ET GUERRE - La vraie guerre en continu, verbale, spirituelle, comme une fin en soi, l’amour jusqu’à la haine et la haine jusqu’à l’amour, la souffrance jusqu’au plaisir et réciproquement.

XIX EX CATHEDRA - Envoûté envoûtant jusqu’à épuisement, porte-parole et porte-plume de mon envoûtante guru et puis au bout d’un an d’enfer éternel l’intrusion miracle de ce sauveur désenvoûtant qui fait s’enfuir tous les désenvoûtés du cru.

XX  RETOUR A LA SOURCE - Retour à la vie dite normale, au sommeil dépressif, trois séjours chez mon extraordinaire sauveur et son extraordinaire épouse pour me resauver, m’inculquer l’abc du vrai savoir, me redonner d’autres anciens de mes noms.

XXI PENTECÔTE - L’apôtre Philippe écrit à l’apôtre André, Isis à Horus, tout se retrouve unité, harmonie, le surréaliste est simplement vrai. Faute de pouvoir me hisser à leur niveau, mes bienfaiteurs m’abandonnent non sans m’abandonner le nom de plus sauveur encore qu’eux.

Épilogue   L’AVATAR ! - Découverte de l’Avatar de ce temps, Sathya Sai Baba. Plus happy end que ça, tu meurs !

PRÉAMBULE

Deux amis conversent, l’un demande à l’autre, l’autre raconte à l’un son histoire de pas comme un autre, l’éden trop court de la prime enfance, cette solitude naturellement peuplée d’un compagnon de rêve : Jésus Bon Dieu. Mais la maison de grâce devient bientôt une autre maison, sans grâce, du village et le village, une petite ville et la petite ville, une grande ville et la grande ville, un pays et le pays, d’autres pays. Il Le perd de plus en plus, il Le cherche de plus en plus son seul vrai compagnon par-delà ses trop visibles toujours plus nombreux et si rarement semblables qu’il lui faut côtoyer de famille en écoles, de plus en plus hautes, et d’écoles en armée, travail, amour, hôpital…autant de conditionnements ordinaires, de prisons ordinaires Aussi brèves que fortes retrouvailles à onze ans quand son Jésus Bon Dieu prend la voix du curé pour lui dire : « Tu as la vocation ». Réponse sans réponse à l’appel profond , en réplique la mort sur pied, nerveuse, à dix-huit ans : drogué à son insu à l’université. Dès lors n’y a plus qu’à chercher hors piste, désespérément le miracle de la guérison et de la résurrection, jusqu’au fond même de deux sectes, de deux super conditionnements super mirages. La libération néanmoins, en deux temps, partielle par ce couple transcendant, positivant, révélateur, notamment d’incarnations, chocs à l’endroit, préparant le bouleversement total final, la rencontre de l’Avatar !

PRÉCISIONS

 

Rédiger les trois mille pages de départ a pris sept ans. Après bien des voyages sans retour le tiers d’entre elles a fini par trouver grâce auprès d’un éditeur, numérique, sept ans plus tard.

En somme et quitte à quasi paraître plaisanter, il ne s’agit donc jamais là que d’un petit condensé du tome I de mes aventures pour peu du moins que je n’en aie pas encore tout à fait terminé avec la présente incarnation. Sans compter que pour n’être qu’un dialogue entre deux bons apôtres, toute cette prose n’est pas aussi longue à lire qu’il pourrait sembler de prime abord, ni non plus bourrée de « je » jusqu’à l’autoextase.

Ce que je puis encore mentionner sans déflorer le suspense, c’est que le titre n’est pas raiment représentatif de l’ensemble de l’écrit. Des sectes, oui, deux en tout cas, sinon plus, beaucoup plus même, à y regarder de près... Par contre, seules les dix dernières pages “happy-end” évoquent l’Avatar, ajoutées in extremis, et pour cause, je venais seulement de faire cette extraordinaire rencontre. Venant après d’autres souvent beaucoup moins heureuses, j’ai certes pu juger en connaissance de cause et, on ne peut mieux, boucler la boucle, partant, donner son titre le plus juste à une narration qui a peut-être son utilité. En effet la paix intime désormais, jusque sous les pires dehors, preuve qu’après avoir accumulé errances, erreurs et perditions à longueur d’océan Illusion ma conscience accoste enfin au port du vrai…

EXTRAIT

Chapitre XV SS3 page 643

 

PHILIPPE - Tout est donc en place pour une nouvelle corrida SuperSectaire, et remarque bien, je mets une majuscule à présent aux deux S de mon nouvel adjectif.

THOMAS - Tant que c’est oral, ça ne se voit pas tellement, mais note que moi je veux bien puisqu’une corrida, c’est une fête après tout.

PHILIPPE - Oui, une bien triste fête en fait, bien terrestre surtout, si commune même !

THOMAS - Je vois, je ne suis pas idiot : si je ne retiens que ton double S majuscule, j’en suis tout de suite à me rappeler des choses dont je ne voudrais pas me rappeler.

PHILIPPE - Hélas férocement actuelles comme jamais, j’en réponds ! Car telles sont bien les SS, les SuperSectes, fêtes du sang versé s’il en est ! Et quand bien même celui-ci le serait-il, en l’occurrence, tellement plus à l’état spirituel que physique qu’il ne s’agirait pas moins de véritables tauromachies, où, hélas, c’est toujours la bête qui triomphe de l’humain.

THOMAS - C’est gai !

PHILIPPE - Et surtout vrai : la deuxième guerre mondiale ne fut ainsi qu’une illustration à échelle mondiale du rituel sacrificiel sanglant permanent dont cette humanité est l’objet. De la grande roue qui broie inexorablement les terrestres, les SuperSectes constituent assurément le moyeu quand ce que j’appelle, moi, les sectes, soit les institutions et processus ordinaires de conditionnement, n’en sont que les rayons.

THOMAS - Plus le mouvement est central, plus il est intense.

PHILIPPE - Chaînes du froid, bien plus encore que de vélo : la terre n’est qu’une gigantesque boucherie nourricière de ses dieux, bien locaux.

THOMAS - Les sacrifices humains n’ont donc jamais cessé ?

PHILIPPE - Les grands prêtres incas, pour ne citer qu’eux, firent simplement les choses de manière plus voyante et plus officielle.

THOMAS - C’est vrai que, comparativement, nos deux dernières guerres mondiales n’ont pas, si j’ose dire, à rougir de leurs résultats, loin s’en faut même !

PHILIPPE – Bien affichés, au sommet de leur art, comme sans retenue même, les grands prêtres de la deuxième, les seigneurs de la guerre par excellence, toutes orthographes confondues...

THOMAS - Ah oui les noirs saigneurs de la guerre, ceux qui par excellence font saigner, les SS, nous y revoilà !

PHILIPPE - Seule différence de départ, vu la chute du sentiment religieux, il fallut trouver un autre adjuvant, un autre moyen d’entraîner le bétail humain à l’abattoir.

THOMAS - A savoir l’élan patriotique : très efficace lui aussi, j’en conviens !

PHILIPPE - Simple besoin naturel de ses éleveurs à la base : comme toi tu bois de l’eau pour étancher ta soif, les human-boys de notre western planétaire, nos maîtres vampires boivent notre sang pour étancher la leur, au plus épicé de souffrance pour bien faire, cette autre forme d’aliment énergétique, et, dois-je me répéter ? les restaurants les plus sélects de cette sorte servent de préférence sous sa forme la plus pure, directement assimilable, le sang des bêtes humaines.

THOMAS - Et toi tu te retrouvas au menu de l’un d’eux.

PHILIPPE - Mais ce n’est que bien longtemps après que je pus évaluer à quel point j’y avais été vidé de mon sang le plus noble, d’une bonne part de mon essence intrinsèque !

THOMAS - Et la fête, la gigantesque corrida continue ?

PHILIPPE - Il n’y a jamais eu autant de taureaux, et les veaux sont privilégiés.

THOMAS - Chair fraîche.

PHILIPPE - Sang frais, le meilleur pour la santé.

THOMAS - Tu es presque cynique.

PHILIPPE - Comment exprimer une réalité aussi banale, hélas, qu’inconcevable ?

THOMAS - La Terre ne serait donc qu’une ferme d’élevage d’animaux humains, de consommation courante, au même titre que nous-mêmes, un échelon plus bas, élevons des animaux animaux.

PHILIPPE - Et comme il y a de vastes usines à viande standard il y a les petites entreprises qui font dans la qualité.

THOMAS - Comme qui dirait bio, tes artisanales de SuperSectes !

PHILIPPE - Cannibalisme de haute volée, par-dessus tous les autres ! Au moins j’ose désormais regarder en face la réalité terrestre, si peu ragoûtante soit-elle.

THOMAS - Au moins tu sais, toi, que tu es mangé, et à quelle sauce en plus !

PHILIPPE - Si onctueuse que les médias la fassent !

THOMAS - C’est trop laid pour être vrai ! Oui, comment, si j’ose encore dire, faire avaler une chose pareille ?

PHILIPPE - Nous nous la faisons présentement avaler, en osant nous la dire, c’est toujours mieux que rien.

THOMAS - Si seulement c’était visible !

PHILIPPE - C’est bien là tout notre drame : les mangeurs d’hommes ressemblent à leurs proies, sont parmi elles, parfaitement déguisés en hommes.

THOMAS - Comme quoi, c’est bien aussi le cas de le dire, nous n’avons encore rien vu ! Ainsi les fables et légendes, primitives, littéraires ou mythologiques, qui dégoulinent de sang, seraient donc vraies ? Tout ce que je vois, moi, c’est que la fin de notre triste sort n’est pas pour demain.

PHILIPPE - Sauf deus ex machina, sauf intervention d’autres étrangers à la Terre, mais bienveillants, eux, positifs.

THOMAS - Végétariens, disons.

PHILIPPE - Reste que notre passivité ne leur facilite guère la tâche.

THOMAS - La solution est d’abord en nous-mêmes ?

PHILIPPE - Elle ne devrait même être que là…

THOMAS - Dois-je comprendre aussi que les SS de SS3, y préparent en douce, sur mappemonde, à très petite échelle, la troisième guerre mondiale ?

PHILIPPE - C’est en effet ce que je pressentis moi-même quand je commençai à me retrouver, au sortir de cette terrible mésaventure, mais trêve de préambules.

THOMAS - C’est cela, terrifie-moi bien vite !

PHILIPPE - Au risque de te décevoir pourtant et d’être peu crédible à tes yeux tant les sévices maison furent avant tout psychologiques, tant la destruction y pratiquée fut, comment dire ? distinguée.

THOMAS - Pour les bains de sang, je repasserai, c’est entendu. Pendant que leurs soldats sont torturés, les généraux vaincus discutent avec leurs vainqueurs et signent un armistice, c’est toujours la même histoire…

PHILIPPE - Il y a de cela mais ce n’est peut-être pas aussi simple.

THOMAS - Ce qui est sûr en tout cas, c’est que, tel que je te connais, tu as dû foncer tête baissée et donc sexe surélevé dans le panneau, mon cher taureau.

PHILIPPE - Oui dans le troisième superpanneau du genre, qui a bien sûr, et une fois de plus, tous les superattraits de la superouverture surhumaine, divine !

THOMAS - Tu cours une fois de plus à ta perte en courant te jeter dans ce qui passe pour la clef de ton salut, l’arène d’une secte !

PHILIPPE - D’une SuperSecte, pardon...

THOMAS - Si tu veux, il faut que je m’y fasse à ton jargon. Ceci dit, tu es décidément incurable, c’est à ne plus avoir envie de chercher à te comprendre.

PHILIPPE - Moi non plus, confidence pour confidence, je ne cherche plus à me comprendre.

THOMAS - Comme je te comprends !

PHILIPPE - C’est tout l’art, il faut oser foncer sans savoir si l’on veut finir par savoir.

THOMAS - Que dois-je comprendre ?

PHILIPPE - Que n’ayant plus rien à perdre, des valeurs apparentes, je pus à l’époque, tout risquer puisque je ne risquais plus rien.

THOMAS - Apparemment du moins.

PHILIPPE - Effectivement. Pour sa part tout l’art du guru, du grand prêtre SuperSectaire, du grand sacrificateur supermatérialiste, est donc d’exposer à la devanture de son échoppe assez d’authentique inapparent pour attirer irrésistiblement le client qui en raffole.

THOMAS - Client très spécialisé lui-même, superclient, très exigeant, qui en veut pour son argent, et tout l’art est donc pour celui-ci d’arriver à repartir avec la pièce rare, tant convoitée, sous le bras.

PHILIPPE - Oui sans avoir intégralement payé, sans avoir tout sacrifié, sans avoir été totalement sacrifié, en étant toujours vivant autrement dit.

THOMAS - C’est de fait plus facile pour s’enfuir, comme un voleur ! Et tu es de ces rares privilégiés.

PHILIPPE - J’ai eu beaucoup de chance.

THOMAS - Voyons ça !

PHILIPPE - Oui, les contours dessinés, colorions à présent notre nouvel album, et d’une seule couleur à laquelle toutes les autres ramènent sur Terre, rouge sang.

THOMAS - Ca va finir par se savoir.

PHILIPPE - Travail microscopique, le travail SuperSectaire.

THOMAS - À effet macroscopique ! Somme toute, le pouvoir y est inversement proportionnel à l’espace où il s’exerce.

THOMAS - De la haute miniature, en d’autres termes, sur sujets triés sur le volet, hautement représentatifs.

PHILIPPE - Les terroristes les plus dangereux qui soient pour le désordre public, ceux-là qui ne portent pas de bombes, qui n’ont pas besoin d’en porter, doux comme des agneaux pour tout dire, on ne peut plus lamentablement pacifiques même, mais on sait s’en occuper en Supersectes ! j’en atteste.

THOMAS - Plus encore que dangereux, irritants, agaçants, ces gens qui auraient tendance à penser, par eux-mêmes, et quoi de plus frustrant, de plus démoralisant, de plus désarmant pour un combattant que d’avoir un ennemi qui ne combat pas ?

PHILIPPE - Et qui en plus s’applique à entraîner la masse à sa suite !

THOMAS - Où va-t-on si nos jeunes refusent la carrière de héros ?

PHILIPPE - Courte mais prestigieuse. De tout quoi il ressort que nos braves ogres ont intérêt à se farcir en priorité les plus récalcitrants à mijoter comme pot-au-feu dans leurs marmites.

THOMAS - D’abord cuire les plus durs à cuire.

PHILIPPE - Ensuite les autres suivront, tout naturellement, comme un seul homme.

THOMAS - Hommes de batterie eux-mêmes gavés aux poulets de batterie.

PHILIPPE –Reste que c’est enivrant de se laisser emporter, éperdu de curiosité, là où tout ne peut bien entendu être que la paix, là où tout ne peut qu’ouvrir sur la paix infiniment divine.

THOMAS - Couper au court et tout savoir, et tout avoir, et tout être avant tout le monde ! Aussi pauvre de choses que riche d’esprit, tu cours rejoindre le cercle très fermé des plus grosses fortunes spirituelles du globe !

PHILIPPE - La revanche des revanches sur le sort !

THOMAS - De revanche en revanche, de précipice en précipice !

PHILIPPE - Pour déployer mes ailes, pour m’envoler il me faut plus que l’espace connu et connaissable, il me faut le vierge de l’au-delà de l’espace, de l’au-delà des sens !

THOMAS - Pour plonger, il te faut le plus profond des abîmes !

PHILIPPE - Au plus fort de ma peur casanière, il me faut l’aventure inédite, qui ne ressemble à aucune autre, des steppes, des jungles, des montagnes, des océans de l’impalpable !

THOMAS - Plus forte que tout, comme jamais, l’ivresse orgueilleuse du premier de classe et dernier de la vie publique ! Tu en perds toute mémoire. Si peu suffit à te doper derechef, de cette drogue-là, que tu réclames à cor et à cri, que tu prétends si bien ne pas connaître, qui a un nouveau nom !

PHILIPPE - Volupté sans pareille, l’insignifiant de mon personnage du théâtre matérialiste se volatilise !

THOMAS - De rien à tout, instantanément ! Une image chasse l’autre, et la nouvelle a comme jamais des airs de réalité ! Matérialisme félon qui ne paraît se détourner que pour mieux frapper, dans le dos, sous le déguisement le plus somptueux, le plus éthéré ! Les SuperSectes changent, l’emprise démoniaque reste, s’ancre même, toujours davantage...

PHILIPPE - Merveilleuse perversion ! Je me vois même alors comme le seul vrai terroriste.

THOMAS - En toute modestie.

PHILIPPE - Autoterroriste, de ma vile matière, de mon corps de chair : je le dynamite de poudre d’esprit, il explose, il vole en éclats éblouissants, feu d’artifice gigantesque !

THOMAS - Tu t’éclates ! Méprise des méprises ! Piège des pièges ! Quand tu crois faire disparaître ton corps physique sous la montagne illimitée de ton essence, tu ne t’escrimes qu’à te faire disparaître, toi et toi seul, ton vrai toi, ton splendide potentiel divin, sous les montagnes d’illusions des nouveaux stratagèmes similidivins des voleurs d’entre les voleurs d’êtres divins.

PHILIPPE - Tout à exécrer ces bien vils huissiers qui me volent seulement ce que j’ai, je ne vois pas tous ces fieffés gurus me voler ce que je suis !

THOMAS - Hors de toi, tu cours, triomphant, à l’antiexploit le plus abject et le plus inconcevable, tu cours à la mort de ton immortelle nature quand tu crois gagner l’ineffable du surnaturel, et ton enthousiasme sans frein s’imagine partir à la conquête de l’impossible, la fulgurante sublimation alchimique de ta nature, quand c’est l’impossible machiavélique qui se veut possible, qui est tenté sur toi par les plus dénaturés des manipulateurs, ni plus ni moins que la destruction de ton indestructible nature...

PHILIPPE - Oui, à force de viol des lois de l’harmonie universelle...

THOMAS - Jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus de toi que ta misérable et méprisable enveloppe de chair d’un instant, assurément docile !

PHILIPPE - Tremblement de ciel que tes paroles inspirées, ébranlant mon reste d’être, ce qui en a été préservé malgré moi. Souffrance sans nom aussi, au réveil des plaies de mes mutilations spirituelles. Après tous ces chocs en tous sens, encore un choc, de conscience, par toi maintenant.

THOMAS - Histoire de la remettre encore un peu plus à l’endroit, ta conscience, après tous ceux-là qui la mirent à l’envers.

PHILIPPE - Quelle reconnaissance ne te dois-je pas !

THOMAS - Quelle reconnaissance ne dois-tu pas à Celui qui, continuant imperturbablement de t’aider à te sauver de toi-même, présentement m’instrumente ? Et ne tire pas cette tête tout à coup ! Admets la libre concurrence de l’interprétation du verbe, n’ajoute pas la jalousie à la pile de tes travers. Et ne tire pas celle-là non plus ! Tu n’es pitoyable qu’à tes yeux ! Et tu le connais aussi bien que moi, Celui-là qui ne t’a jamais quitté, Celui-là que tu oses fuir, toi, sous le prétexte facile d’être indigne désormais de Lui ! Tu n’as qu’une façon de Le remercier, dire, tout dire, ou du moins le tenter, de ta dernière supermésaventure, afin d’en dégoûter tous tes possibles imitateurs !

PHILIPPE - C’est plus simple encore que tu ne crois. Que puis-je faire d’autre désormais que me raconter ? Voudrais-je même m’arrêter que je ne le pourrais.

THOMAS - Enchaîné toujours, mais positivement cette fois... Au fait, enfin !

DE PÈRE EN FILLE

Parution aux Éditions MONORDI ce tout récent 17 août 2022 d’un recueil de poèmes et nouvelles intitulé à juste titre « De Père en Fille » puisque écriture en duo de Lara, de ses 8 à 12 ans, de 1981 à 1985, et de son père, votre ci-devant serviteur. Pour diverses raisons ce ne put malheureusement se continuer.

Quelques extraits suivent, et d'abord de Lara …

LE DROIT

Dans l'empreinte d'un seul pas

Peuvent se passer mille choses...

Monsieur mille-pattes discute

Avec la sauterelle de certains problèmes,

Quant à miss fourmi, elle est en plein travail

Et sa vieille amie cigale joue de la musique

Tandis que la chenille verte

Rampe et rouspète :

" Miss fourmi m'a volé

Ma feuille morte,"

A-t-elle dit à la guêpe

Qu'elle est allée consulter,

Lui proposant ce marché :

" Je fabriquerai ton miel

Pendant que tu surveilleras mon déjeuner."

La guêpe paresseuse donna son accord

Et elle allait commencer son travail

Quand intervint dame coccinelle,

Suivie de ses trois fillettes à points noirs :

La chenille n'avait pas le droit

De garder pour elle seule

Cette feuille qui servait de toboggan aux enfants

Et de piste d'envol pour la maman

Qui l'employait également comme miroir.

Arriva encore maître coléoptère qui expliqua

Que la terre dont il avait besoin

Se trouvait justement sous la fameuse feuille.

La guêpe n'avait pas à l'empêcher d'approcher.

C'est alors que survint un cochon

Qui cherchait de l'ombre.

La guêpe attaqua la grosse bête

Qui n'apprécia pas

Que l'on se moquât d'elle

Et grogna beaucoup.

Une souris en profita

Pour prendre possession de la chère feuille.

Alors tous prirent la fuite,

Sans demander leur reste

Et c'est ainsi que la question fut réglée

Par quelqu'un qui n'avait rien dit.

 

MAMAN

 

 Tu as les joues douces et rondes

Comme les pommes du verger,

Maman, tu es une Joconde,

Une Joconde en tablier.

 

Tu sais les mots qu'il te faut dire

Quand les autres ont le cœur lourd,

Tu sais chanter, te taire ou rire

Près d'un berceau où dort l'amour.

 

Tu as tant de clartés en toi,

Tant de soleil au bout des doigts

Que sur le toit de ta maison

Le ciel dépose ses pigeons.

 

Et dans la cuisine où tu cours

Comme un grand papillon de jour,

Les marmites sont si contentes

Qu'on dirait des tortues qui chantent.

 

 

Journée du 7 janvier 1981

 

OCCUPATION

 

 - apprendre à coudre à Gaëtan

- enlevé les bigoudis à ma poupée

- jouer au magasin d'habits

- tricotez

- pensez au bébé

- acrochez le tableau

- travaillez la monnaie du pape

- faire le cadeau au bébé

- faire des farces et des surprises

- faire collier et bracelet

L'ANGE BLOND

  

Une petite fille blonde

Courait maladroitement,

Plus belle que la Joconde,

 

Traçant un cœur étrange,

Tellement il était grand et rond.

 

Comme on lui en demandait la raison

Elle répondit sans malice et sans émoi :

 

"C'est pour y mettre

Tous mes amis et parents,

Que je voudrais garder

Toujours en moi."

LA SOURIS   

 

 

La souris est une petite bête qui a deux belles oreilles.

La souris adore le fromage.

Elle est aussi l'ennemie du chat.

La souris est le surnom que l'on donne aux petites filles.

La souris est gentille et adorable avec ses quatre pattes.

Elle a aussi une longue queue, un nez et de beaux yeux.

J'aime la souris,

Elle me fait penser à Minie dans les bandes dessinées.

Elle est si mignonne qu'on aurait envie de la croquer,

comme dit mon chat.

Et puis André...

LES ORMES

 

Muse, muse le vent,

Là-bas, dans les hauts ormes,

Les berceuses d'antan,

Si doux que tu t'endormes,

 

Comme au temps d'une maman

Aux pareilles tendresses,

Bordant un autre enfant

Aux pareilles détresses.

 

Chante, chante le vent,

Là-bas, dans les hauts ormes,

Les comptines d'antan,

Si doux que tu t'endormes,

 

Comme au temps des minois

Jouant à la marelle

Et comptant sur leurs doigts

De tendres demoiselles.

 

Souffle, souffle le vent,

Là-bas, dans les hauts ormes,

Les romances d'antan,

Si doux que tu t'endormes,

 

Comme au temps si ému

Des copains grands et minces,

Quand le plus malotru

Avait des airs de prince.
Pleure, pleure le vent,

Là-bas, dans les hauts ormes,

Les complaintes d'antan,

Si doux que tu t'endormes,

 

Comme au temps des amours

Aux ardentes promesses

Qui duraient presqu'un jour

De folie, de tristesse.

 

Joue, joue le vent,

Là-bas, dans les hauts ormes,

Les ballades d'antan,

Si doux que tu t'endormes,

 

Comme au temps de celui

Qui d'un sourire étrange

M'emporta de ma nuit,

Te fit, cher petit ange.

 

Muse, muse le vent,

Là-bas, dans les hauts ormes,

Les berceuses d'antan,

Si doux que tu t'endormes.

GAMINE

 

Quand tant de bons parents, ignorant le prodige,

Redoutent pour les leurs notre lot de toujours,

Déjà tes mots naïfs ont les secrets atours

Du verbe revenu qui te rend au vertige

De l'âge d'or passé, ressemblant à demain

Dès ce présent bouillant, apprêtant les ivresses

De la mort de la mort et de toutes détresses :

Ta nuit est déjà jour du premier des matins.

Tu imploses, ravie, en feu de joie intime :

Sur le bord de ton cœur renaît le gay savoir

De l'esprit permanent qui t'entraîne à revoir

Ces montagnes d'amour, si hautes que sans cimes.

Un seul bond sans effort et t'y voilà déjà,

Au-delà de l'espace, au sommet de la fête,

Sans faire un pas tu peux enjamber la planète,

Enlacer l'univers de tes immenses bras !

 

 

CRITIQUES PROSE

 

Le roman, “Juste avant l’aurore terrestre” ? allégorie, légende ou poésie en prose est du même tonneau, emporté, aérien, un peu fantasque et fantastique mais très agréable à lire.

Jean Jour, critique, Courriel 2007

 

L’homme cosmique, comédie

C’est une pièce assez déroutante, à la fois par votre humour et vos idées philosophiques. Vous êtes bourré de talent et votre écriture est remarquable, mais il me semble que c’est dans la poésie que vous êtes le plus à l’aise.

Joseph Bodson, lettre du 02 01 2009

 

Etrange personnage qu’André Streel, et que. . . son personnage, si les deux font bien deux. Car c’est bien le même personnage qui revient, d’une autobiographie à l’autre, d’un recueil de poèmes à une pièce de théâtre. Une biographie toute traversée d’épreuves en tous genres : accident, déboires financiers, drogue, passage par les sectes, ésotérisme. . . Et toujours la même foi profonde en un destin qui nous dépasse, dont le mystère nous échappe, comme si, de temps à autre seulement, nous pouvions passer la tête par-dessus les nuages qui nous cachent la réalité vraie.

            L’intrigue, en cette pièce, tient à la fois de la comédie de boulevard (en apparence seulement), mais le trio classique est bouleversé, puisqu’il s’agit ici du héros, de son amant et de son amante. Le comique y tient une certaine place aussi, par la visite des gendarmes, après celle des huissiers. L’un des gendarmes se “convertira” d’ailleurs à la vérité et sera à la source du happy end qui terminera la pièce. Comique aussi par le personnage très sympathique et très drôle de Madame Mélanie. Et puis, il y a ces jeux de mots, cet humour d’André Streel, mi-figue mi-raisin (mi-fugue mi-raison?) parsemant dialogues et monologues. Il est vrai que la pièce est parfois un peu statique et manque de mouvement, lors des longs monologues du héros. Mais n’est-ce pas le propre des anges, et ne sommes-nous pas ici dans un monde un peu irréel, comme les prisonniers de la caverne de Platon, sur le point de retrouver leur liberté de vision?

                                   Revue Reflets N° 19 – mars/avril 2009 – Joseph Bodson

SURPRISE !

nouveauté,

mon tout dernier chef-d'œuvre en date,

tout chaud sorti au chaud de juillet 2022

et aux éditions Librinova encore bien,

il tient à peine sur ses mots,

un recueil de nouvelles qui a du titre en tout cas!

à la mesure et en considération de l'actualité...

39 nouvelles, 480 pages,

c'est sûr, j'ai dû me limiter, le cœur gros,

mais voyez plutôt, ce double petit échantillon en tout cas,

juste après les présentations en image et en lettres...

Nouvelles anciennes, réveillées pour illustrer le présent : le feu endémique de l’illusion matérielle qui jusqu’ici couvait et brûlait toute élévation à sa racine explose en flammes dressant irrésistiblement le réel de l’esprit. Le monde et les temps changent, ce n’est plus chanson, espoir amer, c’est pour de vrai aujourd’hui ! Souvenances ou imaginations, ces petites histoires qui touchent à tout, peuvent jouer aux grandes : un changement d’éclairage, de niveau de conscience fait relire autrement. Désormais nos yeux de taupe percent aussi bien le dedans que le dehors : le petit corps éphémère ne cache plus la grandeur d’âme éternelle, notre animal se revoit humain. Communion cosmique dès lors après trop de solitude : extra/intra-terrestres sortent des coulisses de la science-fiction pour interpréter avec ou contre nous la dernière scène de la tragédie terrestre. La guerre permanente sacrifiant tout et tous sur l’autel de quelques-uns se termine, libératrice : la paix enfin au bout des peurs inventées. La santé disparaît sous l’harmonie naturelle et le labeur fricassier de survie sous la joie du désintéressement fraternel et créatif. L’humour est à deux lettres de l’amour, le bref plaisir sexuel ramène à la félicité continue de l’union divine originelle, nos petits frères animaux quittent nos assiettes pour suivre notre exemple, la pureté enfantine est à développer adulte…

CLASSE DE NEIGE

Cet après-midi-là de rude hiver est plus blanc que blanc : de la neige et encore de la neige toute la nuit, toute la matinée, et tous ces flocons encore, aux fenêtres de la classe, mais ils ne sont pas pour nous, pauvres potaches, écrasés de participes passés quand nous voudrions tant participer au présent qui est dehors...

Journée blanche, en cela pire qu’une nuit blanche, et ce bon maître, bien horriblement, feint, lui, de ne pas voir tomber la beauté, la paix, de ne pas soupçonner toutes ces souffrances qui le supplient des yeux. Imperturbable, celui-là qui est vieux, qui a oublié la poésie, continue de faire tomber, lui, la blancheur de la craie sur le tableau très noir.

Miracle ! Leur prière muette à tous se trouve subitement exaucée quand elle fait frapper à la porte et bientôt entrer un authentique bonhomme de neige...

Oui, un bonhomme de neige qui marche, c’est à ne pas croire mais c’est ainsi. Bien bonhomme du reste, bien arrondi, le nez bien rouge, moustachu même! Et qui parle en plus! Enfin, qui marmonne, comme des mots. Mais c’est déjà bien pour un bonhomme de sa condition. Un peu comme s’il avait froid sans doute. Ça fait tout drôle de penser qu’un bonhomme de neige puisse avoir froid : tout le temps dehors, il devrait pourtant s’y faire...

C’est fou d’ailleurs ce qu’il peut ressembler au gros Hilaire ! Et presque dommage...

Hilaire, le gros Hilaire, le propriétaire de la plus haute antiquité sur quatre roues de la région, une Volkswagen qui n’est plus qu’une réparation, de réparations en réparations, qui va gaillardement sur ses trois-cent-mille kilomètres; voiture de campagne : elle sent le foin en juin, la betterave en octobre et la paille, fraîche ou non, toute l’année; et toujours fertile, il y pousse surtout des champignons, du moins quand c’est la saison, mais il faut bien chercher, partout, au milieu des fines herbes, et plutôt sous les sièges avant, les seuls à demeure ; et ça vous transporte tout, cet engin-là, pulpes, veaux, humains même à la rigueur.

Justement, c’est elle le problème, bloquée à une distance canadienne, au beau milieu des congères, dans la côte ou plutôt la côtelette du Manil, et accroché à son derrière, le carrosse de Hugo le bellâtre...

Qui ne connaît pas Hugo ? La gloire locale, le tombeur de ces truies ! À servir toujours prêt ! Et à présent prisonnier des éléments et du devoir sacré. Eh oui, de retour de vaillante saillie, laissent deviner les confidences à peine pudiques de son entremetteur. C’est beau l’héroïsme !

Aussi les yeux des potaches ne sont-ils qu’un élan : il faut sauver Hugo ! Silence méditatif du seul sage à bord de l’école après dieu, la foule, oppressante, suspendue à ses lèvres...

Tout de même, le risque n’est pas bien grand, il fait un temps à ne pas décoller un inspecteur de son poêle à frire !

*

La décision qui a la forme d’un grand bâton finit par tomber, par se fracasser plutôt, comme jamais, contre le pupitre, sonnant le branle-bas de combat. Aussitôt prises d’assaut, les remises des alentours, réquisitionnées, les pelles et les brosses ! Qui oserait seulement refuser l’ombre d’un service à celui qui sait, qui fait tout savoir aux hommes du village depuis près de quarante ans ?

Les évadés des leçons de grammaire et de géographie ne sont pas peu ravis, cela va sans dire, de se jeter dans la blanche liberté. Marcher, courir sur les traces de Jack London, l’aventure blanche, l’aventure… Il ne manque guère que les chiens, les traîneaux, les raquettes, tout manque en fait et pourtant tout est là puisque la neige est là, elle, magicienne, qui se laisse dessiner comme un papier :

“Après un rêve blanc, un autre rêve blanc”.

 Comme nouvelle dès lors et pourtant toujours la même. Tellement plus grande surtout que le plus grand des papiers. Et son papier à elle se gonfle, bombe comme si on soufflait sous lui ! D’où ses ondulations galbées, veloutées, longues sculptures… L’infini peut se poser sur ses molles douceurs.

Pour nos petits trappeurs le vent qui cingle si fort, à coups de flocons, ce n’est bien sûr plus de la bise mais du blizzard et la petite Hesbaye qui a perdu ses couleurs et ses pluies, c’est devenu au moins le Grand Nord. Les livres deviennent vivants, le temps d’un après-midi de grâce !...

Reste que j’ai comme mal à cette perfection immaculée que je dois éventrer ; mais c’est presque aussi le bonheur, et qui va presque durer : c’est qu’il va en falloir du temps pour ouvrir les deux énormes boules de neige et redécouvrir Hugo, qui grogne, qui vit! Et puis aussi, nous rions trop pour pousser vraiment ce qui n’est à nouveau plus qu’une bruyante, toussotante et puante auto vaguement tentée de redevenir mobile !...

“C’est un tour de roue, encore un tour de roue, c’est toujours le même tour de roue qui recommence”....

Le carrosse de monsieur le verrat sera ainsi avancé, lentement, lentement... Il fera nuit quand, bien malheureusement, nous retrouverons la civilisation, mais en fiers vainqueurs, escortant Hugo sauvé des neiges !

 

LA MAISON DE L'AURORE

 Pour Christophe, c'était un rêve, cette maison du bout du monde ou du village, avec son grand collier de fleurs et l'écharpe pourpre de son mur d'enceinte, c'était un rêve, qui vit toujours. La détruirait-on même qu'elle serait toujours là, dans sa tête...

            Parti avec la nuit, de retour avec elle, papa, c'est dimanche; les autres jours, grand frère à l'école, maman devient tout. Mais parfois elle est si loin de l'épicerie, de l'église, de la pompe à eau et des amies qu'elle annonce à son blondinet de peut-être quatre ans:

 - Je dois partir, je reviens tout de suite; ne joue pas devant la grille, ne te montre pas non plus si on sonne, as-tu bien compris? Il ne peut rien t'arriver, de toute manière: le bon dieu est avec toi.

 - Oui, en haut.

 Un baiser et tout finit, non, tout commence...

             Que craindre d'ailleurs? Avec son auréole qui le couronne, sa barbe et sa robe de neige, son regard bleu comme le ciel et ses paumes ouvertes par l'amour, les pieds nus sur un nuage pour mieux gravir le firmament, est-il beau! est-il fort! son bon dieu Jésus, là, tout contre le mur, comme peint, au fond du palier de l'étage, grand du plancher au plafond.

 À la moindre interrogation, quelle joie de foncer lui demander la vraie réponse! seul ou accompagné de l'un de ces chats malins qui ne dérangent jamais, qui savent tellement mieux que nous ce qu'ils n'ont pas besoin de dire...

            Mais c'est Whisky le canin qui sait le tout premier, lui la mascotte de ce régiment américain subitement en partance pour le front d'Ardenne, que nul n'eut le cœur de retirer des bras de grand frère Victor.

 À peine maman a-t-elle refermé et enchaîné la grille derrière elle que le gardien du domaine, détaché de sa niche, sonne le début de la fête. Plus joyeux que la joie, il n'est déjà plus que mille jeux pour le plus petit de ses maîtres.

 "Dame! c'est un plaisir de se démener quand impatiemment fauteuils et lits attendent vos longs poils bruns," jappe-t-il en mangeant ses mots, d'impatience.

            Mais Zouzou la chasseresse et son digne fils Popiou ne l'ont pas attendu pour miauler à fendre l'âme devant la porte du grenier: c'est que les montagnes de blé qui s'y élèvent jusqu'au toit, regorgent de festins sur  pattes que les hommes appellent rats et souris.

            Mes amis, quel spectacle quelquefois! Surtout quand l'une ou l'autre proie s'avise de dévaler l'escalier et de bondir par exemple parmi les tasses et les verres de la vaisselle en souffrance, provoquant un désastre prometteur de brûlantes fessées et de désespoirs qui durent presque longtemps.

            Sans compter qu'au fil d'un autre voyage, les deux grosses poignées de grains, appelées à varier si opportunément l'ordinaire de ces dames poules, ont tendance à s'égrener, et Petit Poucet devient même grand lors qu'un courant d'air malicieux vient à lui claquer la porte au nez!

             Ce n'est pas pour autant une raison de négliger ce pauvre Hector, toujours tout seul à broyer le noir de son étable. Est-ce sa faute s'il ne sent pas bon, enfermé qu'il est, à demeure, dans ses toilettes? Comme il serait heureux à l'air libre! Hélas, la porte de sa prison est si lourde et racle si fort le sol que le petit garçon arrive à peine à se glisser dans son entrebâillement.

 Au moins le malheureux cochon ne s'appelle-t-il plus Adolphe comme son papa, dont, paraît-il, on bottait le derrière à tout propos: cette fois, cette guerre-ci est bien finie. Lui servir quelques patates ou lui gratter l'échine à poux est un ravissement: pour remercier, il a de ces grognements si délicats!

 Encore Christophe est-il loin de pressentir que le dodu va finir dans son assiette et que, pour comble, lui-même va l'assassiner en détail, à chaque tour de manivelle du hachoir!

 Bien entendu, les plus belles carottes du jardin sont pour ces autres captifs, lapinesques, des treilles et des clapiers, pour ces petits nez frétillants, ces débonnaires boules de poils, cachées sous leurs oreilles...

             Et vite à la mare improvisée! voir les petits poissons et les charmantes larves de toutes sortes que Victor et sa bande ont la veille pêchés dans les marais du "Brou". Sauf déluge nocturne, n'y survivent déjà plus que deux ou trois têtards, à la faveur d'une flaque miraculeusement préservée par les pierres et briques du fond que notre mortier de glaise n'a pas trop réussi à souder.

 En fait, le plus dur pour Victor a été, à l'aller, de parvenir à s'encombrer de la passoire à cendrée, "qui a encore une fois disparu!", comme va bientôt, inévitablement, s'écrier certain énervement maternel. Par contre au retour, c'est la rentrée incognito du bocal à merveilles qui exige de l'héroïsme. Paradoxalement, pour les grosses prises, pas trop aquatiques, genre grenouille, orvet, lézard, le cartable et le sachet à tartines font parfaitement l'affaire.

             Bien entendu, si nos aventuriers ne vont pas aux poissons, c'est qu'ils vont aux nids, très fiers de ramener quelques œufs tout mignons, voire l'un ou l'autre oisillon à confier, avec des fortunes diverses, à mère poule Gertrude en pleine couvaison.

             Mais ce qui agace le plus maman, c'est le numéro d'Henriette, la corneille du copain Joseph. Il est vrai que celle-ci parle également d'abondance, mais seulement aux initiés et peut-être un peu moins bien, après tout, que les perroquets du capitaine Haddock; surtout, elle ne quitte l'épaule de son dresseur que le temps d'une visite au poulailler, histoire de faire honneur à l'omelette maison.

             Impossible enfin de s'y tromper: quand des cris de terreur proviennent de la maison, c'est que maman est sauvagement attaquée par une souris et si c'est du jardin, c'est qu'elle a coupé la somptueuse laitue à  l'ombre de laquelle méditait le sautillant Arthur, crapaud de son état et vétéran d'une précédente expédition.

             Les plus minuscules ne sont du reste pas les moins attachants. Ainsi la coccinelle et son domino rouge, et s'il fallait chausser les mille-pattes! Quant aux papillons aux habits si fastueux, ils aiment tant les fleurs que ce serait un crime de les attraper, tandis que muse le chœur des bourdons sous les instruments à vents et à moineaux, merles ou mésanges des haies et arbustes.

             À lui seul un bâton permet de camper moult personnages princiers:

« Tu connais, toi mon bon dieu, tant de rêves! Toi encore qui me frappes, si doucement, avec ta pluie... mais ta neige, ta neige, suprême magie! Et quand le jardin s'est ainsi couvert, il me reste les crayons de couleur pour courir en plus sur des tas de papier, bien au chaud. »

 Tout autant, sinon plus qu'aux bêtes, aux plantes et aux choses, c'est ainsi que parlait Christophe, à celui qui lui parlait sans trêve, là, en haut, à l'étage et partout: que voulez-vous, le petit garçon était trop petit pour savoir déjà que ce n'était plus l'usage.

 Que lui fallait-il de plus pour être heureux ?

*

 Et puis le drame total: grand-mère brutalement changée en méchant loup, la fable à l'envers, vociférante agitation à présent qui fait pleurer maman, avec cette finale à l'adresse de Christophe, en le happant:

 "T'as peur, hein? tout le temps et t'arrêtes pas de hurler chaque fois qu'elle te laisse ainsi tout seul! On va venir te voler à la fin, pauvre petit va!"

 Pauvres rides, tant aimées, qui ne croient pas si mal dire! De qui ne va-t-il pas falloir se méfier désormais?

 Toujours est-il que le charme est rompu, et définitivement quelques jours plus tard quand papa et ses amis qui prétendent manquer de bois, se mettent à tuer le puissant protecteur qui ombrage si bien l'entrée du paradis. Alors Émile, le propriétaire, qui doit avoir l'âge du géant, que les coups de hache blessent tout autant, choisit, en ultime protestation, d'oublier de se réveiller de sa sieste, malgré les baisers d'un petit compagnon de voyage installé sur ses genoux qui se réjouissait tant d'être bientôt emmené à l'école en brouette, par son vieil ami, comme promis, juré.

             Il faut alors déménager, et déménager, c'est tout perdre, c'est déjà mourir, et Christophe part donc mourir quelque part, d'étouffement, au milieu des mille et mille maisons d'une ville, à côté d'une église où Dieu parle latin, au fond d'une école qui apprend à grandir, à oublier les animaux et les jardins...

             Pourtant Christophe croit parfois ressusciter, les jours de pèlerinage, quand, à l'insu même de sa femme et de ses enfants, il vient planter là son automobile, à peu de distance de la dernière bâtisse de ce village, durant quelques merveilleux instants.

 C'est alors comme si elle n'avait pas changé, sa très chère vieille maison, c'est alors comme si elle n'avait pas été décoiffée par des tuiles trop neuves, défigurée par des fenêtres et des portes en aluminium, c'est alors comme si le grand mur n'avait pas été arraché ni le jardin piétiné par un affreux bungalow.

 C'est alors comme s'ils étaient tous là, les vrais habitants de l'endroit, le Whisky que le bus n'aurait pas écrasé, le Popiou qui n'aurait plus été châtré, l'Hector qu'on n'aurait pas mangé, l'Arthur qui n'aurait plus eu peur, tous ceux-ci et tous les autres, connus et inconnus, heureux, joyeux comme jamais, de n'avoir plus d'autre maître que celui qui est trop grand pour ne pas aimer infiniment le plus petit d'entre eux.

 C'est aussi comme s'ils avaient d'ores et déjà débarqué des vaisseaux spatiaux, les sauveurs de la Terre, tout à la restaurer, à la nettoyer de tous ses dévastateurs-tueurs!...

            Et loin alors de  se douter qu’il aurait à réaliser septante ans plus tard que les cinq premières années de son existence avaient été les moins malheureuses de toutes, loin de concevoir encore qu’il était venu de beaucoup plus loin que du ventre de sa mère, d'une planète où la félicité est bien normalement la norme pour tous, où chacun peut épanouir autant qu'il veut l'illimité de sa divinité, bien loin de réaliser déjà qu’il avait vécu là plus d’une incarnation le grandissant, le préparant suffisamment à faire la guerre avec des fortunes diverses, sous d'innombrables noms et corps, aux squatters d’une autre planète bien aussi superbe, appelée Terre, transformée en prison pour ses autochtones, lui-même plus ou moins lourdement inconscient de son sort et de son rôle difficiles.

Oui enfermé comme des milliards d’autres humains, et du début à la fin et à double tour, dans une fausse matrice par une poignée de pirates spatiaux totalement immoraux, dégénérés, coupés de leur créateur, traitant comme moins que du bétail leurs pareils, à cette différence capitale près que ceux-ci étaient encore capables, eux, d'avoir conscience de l'infini de leur divinité et de le développer.

Hélas, trois fois hélas rares étaient ceux qui, sous les bombardements incessants des conditionnements les plus variés, pouvaient encore l'avoir si peu que ce fût, cette conscience. Exceptions d’entre les exceptions, ceux d'entre eux qui en outre étaient encore en mesure de la développer, elle et les pouvoirs spirituels permettant, au bout d'efforts constants de purification et d'harmonisation, de s'échapper de ce cloaque immonde et de retrouver la pleine capacité bienheureuse de leur essence.

Oui, réduit à croire bien plutôt et comme tout le monde que la norme était de mourir à peine né après avoir beaucoup souffert, après n'avoir cessé de vieillir ; jeune et fort, rien qu’une infime étincelle de temps, avant de collectionner sans désemparer maladies, ennuis et  malheurs, réduit à qualifier de félicité les minces et fragiles et si menus plaisirs séparant leur automatique et interminable contraire, réduit à prendre cette anti vie pour la vie, submergé d'ignorance, de faussetés à jet continu, au fond du noir toujours plus noir d’une fosse toujours plus profonde, juste assez faussement colorée pour s’en accommoder.

Solitude des solitudes, Christophe, rejeté même par ses compagnons d'infortune au moindre effort, à la moindre tentative, si faible fût-elle, de s'échapper de cet enfer que surtout ses constructeurs n’appelaient jamais par leur nom. Les chantres médiatiques emprisonnaient parfaitement dans leurs mensonges la masse lamentable des esclaves forcés de travailler à se détruire et à d’autant maintenir en place de vrais tyrans qui s’étaient eux-mêmes rendus si malheureux, si incapables de bonheur à force de renier leur divinité qu’ils ne pouvaient plus que rendre malheureux, que priver de leur naturel de bonheur, que  rendre semblables à eux tous autres humains.

Sa seule victoire à Christophe avait peut-être été en définitive celle-là, ne pas empirer les choses, ne pas rendre sa situation pire à l'arrivée qu'au départ en stoppant prématurément, d'initiative, l'exercice de torture appelé la vie, cette horreur qui de surcroît nous apparaissait, du bas de notre ignorance de tout ce qui est fondamental, comme notre seul bien séparant le néant de l'avant et de l'après.

Il était loin d'imaginer enfin que comme tous les terriens ou presque il finirait sa vie sous muselière en quoi les covidés se distinguent des bovidés et autres animaux qui eux, sauf rares exceptions, n'ont pas à en porter.

Reste que demain serait tout différent d’aujourd’hui, cet horrible monde-là qui,  malgré les dénégations unanimes, sans fin répétées, jusqu’au ridicule, des informateurs attitrés de tous bords, s’effondrait et ne reviendrait jamais, il n’y aurait plus ni grosses ni petites maisons ni d’humains sans maison, il n’y aurait plus ni propriétaires ni locataires, il n’y aurait plus qu’un propriétaire, le créateur de la Terre, il n’y aurait plus d’avoir, il n’y aurait plus que l’être, chacun disposerait de ce dont il a besoin, ni plus ni moins. La terre élevait ses vibrations, irrésistiblement et, si acharnés étaient-ils, tous les combats d’arrière-garde de ceux qui l’avaient si longtemps maltraitée, elle et ses habitants, n’y changeraient rien, du reste ils commençaient déjà d’en être expulsés à jamais.

C’est toujours Dieu qui gagne à la fin… 

Éditions MONORDI

Les autoéditions de proximité “Monordi” publient régulièrement des mini recueils de poèmes ou des nouvelles. L’une ou l’autre production du genre se voit d’aventure hébergée par l’une ou l’autre revue; l’un ou l’autre prix au passage, essentiellement le 2001 de la meilleure Défense de la Langue française du Ministère français de la Culture et le 2004 de l’Association des Ecrivains Wallons. 

Bien que fonctionnant à personnel très réduit, les présentes Éditions Monordi se sont augmentées assez récemment d'un studio d'enregistrement certes lui aussi très réduit dans ses ambitions et ses moyens . N'empêche qu'il permet notamment de créer des powerpoints pour réunions Zoom et surtout des vidéos approvisionnant mes chaînes YOU TUBE et ODYSEE (voir les liens à la page home).

Pour les nouvelles il est raisonnablement envisagé de les assembler prochainement en recueil si tant est que l'actuelle folie covidiste qui écrase actuellement notre humanité le permette.

QUELQUES TITRES EN IMAGES

AU MANOIR DU DRAGON

Nouvelle

 

Pierrot ne se comprend pas. Que fait-il là au milieu des siens, qui ne sont pas les siens ? Si différent des autres s’éprouve-t-il, depuis pour ainsi dire toujours ! Aussi extrême, lui, qu’ils peuvent être "normaux", eux, désespérément Au plus cherche-t-il à s’en rapprocher, des autres, au plus s’en éloigne-t-il, du moins lui semble-t-il, encore qu’il se soupçonne de se mentir plus souvent qu’à son tour, mine de rien, va savoir ! Mais aussi c’est tellement subtil, ce jeu intérieur : il a beau tout faire à fond, c’est comme s’il ne touchait à rien, et si feutré puisse-t-il se vouloir, il n’arrête pas de surprendre, voire de choquer…

Boulimique sexuel par exemple, sans préjugés, si distant des filles en apparence, quitte à les collectionner d’aventure, en plus des garçons, à la fortune du pot, sexe à tout va… Comme coupé des sentiments, ce plus que romantique, ce plus que raffiné de manières et d’expressions, du moins quand ça lui chante, jongleur de verbe, jongleur d’amour… Même le mariage à la rigueur serait un sport, si seulement il lui venait à l’idée de le pratiquer.

Et d’évoluer avec une égale aisance, à l’occasion, dans le registre opposé, le mysticisme, jusqu’à l’incandescence à la rigueur, à deux pas de la transe peut-être, assurément seul là aussi, à cent lieues du devoir dominical de la messe paradis clé sur porte qui fait bâiller plus d’un homme, qui fait se pencher plus d’une femme sur les parures de la concurrence. Comme s’il était, lui, et à tous égards, à un autre degré de vie, comme s’il était davantage chaque acte, comme s’il pénétrait plus intensément toute chose et tout être…

Pourquoi est-il né dans une famille ? Pourquoi n’a-t-il pas été abandonné par des parents judicieusement indignes et n’a-t-il pas été élevé à la romaine par l’une ou l’autre louve ? Ce qu’il voudrait être orphelin ! Et à tout le moins de père, de mère, de grand-père, de grand-mère, et de frères et de sœurs, de tantes, d’oncles encore bien. Les jours de fête, de bisous à la chaîne, comme il se verrait bien prisonnier des glaces du pôle Nord ! S’ils l’entendaient, tous ceux-là et toutes celles-là ! S’ils pouvaient savoir combien ses bons vœux sont mauvais ! Ce qui ne l’empêche pas d’être plus vrai que vrai dans son rôle de fils modèle, comme détaché dans ses attachements, le bougre, les émotions en option, juste quand il faut. Oui c’est bien cela, il aime trop bien parce qu’il n’aime pas.

Comme c’est curieux aussi, cette curiosité tous azimuts qui ne s’intéresse qu’à tous les azimuts inhabituels, un peu comme s’il n’était pas là où il est ! Esotériste et même poète, comme ça, au départ, tout naturellement, voilà bien l’étiquette qu’il a dû se coller sur le bocal, mais quant à se déclarer tel à un contrôle de police ou à la rubrique “profession” de n’importe quelle somptueuse curiosité administrative ! Là surtout, au fond de cette campagne où on l'a cette fois fait naître, où les livres ne sont que de beurre et la culture que de l’agriculture.

Si doué pour tout qu’il pourrait tout faire, au point de ne rien faire à la rigueur, de rester libre de tout faire autrement dit. Jamais pourtant aussi dangereux pour le travail que quand il frise la paresse. Et ce n’est pas parce qu’il excelle à l’école que pour autant il dédaigne le tracteur et les gros travaux rebutants des champs et des étables, même s’il leur préfère la finesse du jardinage.

C’est ainsi, nul ne peut véritablement le saisir, le Pierrot, même pas lui…

            À dix-huit ans il aurait pu tout aussi bien reprendre la ferme ancestrale que se lancer avec succès dans n’importe quelles études universitaires. Eh bien non, il a complètement désarçonné son monde en choisissant la médiocrité par excellence, cet emploi, citadin, fonctionnaire, de bureaucrate de bas étage, pour ne pas dire de rez-de-chaussée : logique avec lui-même, là aussi excessif à l’excès, la plus médiocre des médiocrités sinon rien ! Super bucolique jusqu’à la plus polluante citadinité ! Vous imaginez d’ici la fureur familiale, ce qu’il espère depuis si longtemps ! Enfin se couper, bien théâtralement, de ceux dont il a toujours été coupé. Premier petit salaire, premier loyer de petit studio à la grande ville, la révolution, l’indépendance ! De quoi se laisser aller à n’être plus que ce qu’il est, en dehors des heures de représentation, de bureau bien sûr, 8h-17h 5 jours sur 7.

            Voilà donc que, trop garçon, il joue à la fille, voilà qu’en nocturne il s’habille excentrique, pour ne pas dire plus, belle de nuit, après et avant le bien étranglant chemise cravate ; à lui enfin tous ces lieux délectablement mal famés, tant célébrés, pardon tant condamnés du haut des chaires de vérité de l’enfance, et pas n’importe lesquels, il veut les meilleurs d’entre les pires, pas les bêtement mauvais quoi, non, les sulfureux qui n’en ont pas l’air, avant tout ce parc romantique grouillant d’hommes- femmes et d’hommes à hommes aux premières ténèbres. Un peu comme s’il voulait essayer tous les costumes possibles quitte à ce que ceux-ci deviennent d’aventure des robes !

Elle cède d’autant plus brutalement, la digue, qu’elle a longtemps tenu ; tout de suite même, c’est l’inondation, sans crier gare. À peine épouse que Pierrot se veut maîtresse, à peine maîtresse qu’il se veut putain ! Vivre tant à l’envers que retrouver l’endroit, que cueillir au passage l’une ou l’autre jolie fille, en devient plaisir rare, exercice d’esthète, de dilettante. Au bout de l’extraordinaire incessant, le retour à l’ordinaire, quoi de plus extraordinaire ? Homme tous terrains, jusqu’en ceux de la femme, juste encore à se lasser suffisamment des exercices individuels pour tomber dans le collectif, surcroît distrayant de couples, voire mouton de troupeaux orgiaques, quasi jusqu’à l’ennui ! Presque content dès lors de rejouer l’ennui ordinaire, officiel, consacré, dès le lendemain matin, du parfait petit fonctionnaire bien comme il faut. Comme si dès le lever du jour tout s’oubliait des délires de la nuit…

            Ce que le jour peut être sommeil pourtant ! Ce qu’il est content de se réveiller pourtant après avoir dormi toute la journée, travaillé comme disent sans rire ses estimés collègues ! En définitive il ne se trouve nulle part, Pierrot, même pas dans l’absence de sommeil, même pas au bout de ce plus que divin orgasme, qui ne veut jamais durer ! Transperceur, transpercé du sexe toujours également déçu au final, à défaut de pouvoir jamais transpercer et se transpercer jusqu’à l’intouchable. Plus il s’unit, plus il se sépare. Au plus quelques atomes crochus, jamais la molécule entière. La dérive capiteuse du vice, de plus en plus le seul dérivatif, mais encore si peu vicieux quelquefois, ces vicieux qui sévissent par exemple en cinémas permanents ! Pas loin parfois de leur reprocher leur manque d’audace et d’imagination, le Pierrot, à ces spéciaux si conformément spéciaux ! En un mot à la fois de plus en plus insatisfait et insatisfaite...

Heureusement, cette petite annonce enfin, parmi tant d’autres, et son grand choc, si banale pourtant qu’elle paraisse de prime abord :

“ Monsieur 67 ans habitant manoir cherche jeune compagnon, photo souhaitée, réponse assurée, écrire BP 45, 10370 Villers-au-Pont. ”

            Un mot sauve tout, change tout, merveilleusement médiéval, “manoir”. Cent fois Pierrot a recommencé sa réponse, avec plus de soin et d’application que pour aucune dissertation. Et avec ça la photo la plus décemment provocante possible…

La récompense une semaine plus tard, cette voix au bout du fil, juste ce qu’il faut de trop posé, elle est celle d’un agent de voyage quand elle vante le site, d'un curé de naguère quand elle prophétise un avenir couleur paradis, ou encore d'un médecin quand elle interroge sur les détails anatomiques et physiologiques les plus intimes, ce qui devrait faire au total le plus inespéré des pères incestueux, et celui-ci a ponctué :

 « Rendez-vous demain, treize heures précises. »

Et le mauvais fils a acquiescé sans presque s’en rendre compte, et le père a raccroché, et le fils a commencé à réfléchir. Effectivement demain, c’est samedi, congé. Il connaît le coin en plus : deux bonnes heures à vélo, même sous la canicule de juillet il n’y a vraiment pas de quoi effrayer un fils de paysan. Bien sûr aussi que ça ne regarde personne, qu’il n’en soufflera mot à personne, d’autant qu’il n’a justement personne à qui souffler mot ou faire regarder…

Périple proprement de rêve : en plein Tour de France, le cycliste peut se jouer à fond son numéro de champion de Tour de France ! Le chemin forestier final qui contourne le village, plus exactement le dernier col, hors catégorie, de l’étape, est escaladé en danseuse, seul en tête, sous les ovations d’un public en délire que lui seul entend et voit. Un quart d’heure de retard sur l’horaire toutefois : presque fort, presque constamment de face, le vent, du sud pourtant, en sorte que le bleu nattier du maillot a été repeint azur par la sueur.

Que des sapins au sommet ! de part et d’autre d’un mince filet d’asphalte rectiligne, en faux plat, qui se perd, dans les sapins évidemment, au bout de trois cents mètres. Point de banderole d’arrivée mais tout à coup, à droite, à mi-parcours, un chemin perpendiculaire de pierrailles de même largeur, entre les arbres, et bientôt une haute et opaque barrière, en bois comme toute la haute palissade qui l'encercle.

Sur un des piliers, une sonnette, là juste sous l’enseigne sans équivoque : “ Manoir du Dragon ”. L’index n’est pas loin de trembler au moment d’enfoncer le bouton. Des aboiements lointains en réponse, une éternité plus tard comme des pas qui se rapprochent, de plus en plus émouvants.

Encore tout dégoulinant, tout ahanant, le Pierrot, cheveux collants, vêtements moulants, quand l’huis s’entrouvre enfin et l’aspire. Choc du regard avec un homme bronzé, prince presque charmant à cheveux blancs, à peine ridé, presque mince aussi sous peignoir de flanelle, sandales aux pieds nus, quels yeux surtout ! plus que bleus, plus que beaux, comme qui dirait fascinants :

« La bienvenue ! » fait la voix, toujours aussi posée, comme pour l’éternité. Et avec ça le geste qui invite à entrer.

Surprise, Pierrot se retrouve aussitôt sur un pont, métallique, long d’une bonne dizaine de mètres, guère plus large par contre que pour un voiture, par-dessus un fossé d’eau, et au bout du pont, une autre barrière de bois et de chaque côté de la barrière un rempart en pierres du pays, et derrière celui-ci, à nouveau de grands sapins sur plusieurs rangées: du féodal à pleine vue !

Pont-levis en fait, qui se relève magiquement à peine la seconde barrière atteinte, et celle-ci ouvre enfin sur le manoir de tous les fantasmes, quoique quasi ridicule à la limite, par la taille du moins, là au bout de cette trentaine de mètres d’allée entre bordure de fleurs et pelouse. Tout au plus une bonne bâtisse en pierres du pays, pour un peu d’une confondante banalité; petites et nombreuses, les fenêtres, autant d’yeux enfoncés dans leur orbite.

            « Ce n’est pas en haut que ça se passe, fait l’homme, énigmatique, comme s’il avait deviné la pensée de Pierrot.  À part ça qu’est-ce que tu as transpiré, mon mignon ! C’est magnifique ! »

Claquement de langue, singulier, incongru, pour confirmer le compliment. Pierrot ne peut guère qu’esquisser un mince sourire en guise de réponse.

« C’est par là ! » lui est-il encore indiqué, bien indifféremment.

La demeure est contournée et le vélo rangé dans l’abri de jardin, que jouxte un chenil ; deux furieux molosses se jettent en cadence sur son grillage, des os au dedans et autant au dehors. A-t-il vraiment vu ce qu’il n’a vu qu’à la dérobée, un dixième de seconde durant, Pierrot ? Comme un crâne, humain, parmi eux. Pas même le temps de tressaillir car déjà tombe l’ordre enjôleur :

« Déshabille-toi et pends ton linge au fil, il aura vite fait de sécher. Je te devine trop admirable de toute façon pour être vêtu, surtout par cette chaleur. »

Plus que troublé, Pierrot s’exécute sans broncher, comme si cela allait de soi, de peur peut-être aussi de rompre le charme du mystère.

« Et maintenant plonge te rafraîchir, continue l'autre, comme indifférent, comme administratif. »

C’est alors seulement que derrière les fauteuils de jardin Pierrot aperçoit le bleu d’une piscine. Pas bien grande mais amplement suffisante. C’est peu dire qu’il ne se fait pas prier, le voilà déjà qui nage quelques longueurs pas très longues. Le voilà déjà pourtant qui en sort car il a entendu :

     « Viens te sécher à présent, installe-toi dans ce fauteuil, et bois. »

     De fait un grand verre de jus de fruit l’attend sur la tablette jouxtant le fauteuil qui fait face à celui qui est déjà occupé.

     « Merci », trouve-t-il fort originalement à répliquer, sans trop oser affronter un regard insistant qui n'a même plus à le déshabiller.

     Plus rien qu'un long silence ouvrant à toutes les interrogations, jusqu’à ce que le verre soit vide :

     « Bien, très bien, et maintenant descendons au vrai manoir. »

Au bout de l’escalier tournoyant, juste de poussiéreuses vieilleries de vieille petite cave poussiéreuse, au milieu de quelques tonneaux. Pierrot ne peut donc que d’autant plus sursauter quand, derrière l’un d’eux, une partie du mur s’effondre, non, s’ouvre comme la plus vulgaire des portes, mais sans même de clenche !

 « Entre, voyons ! »

Le voilà ainsi dans une grande cave, Pierrot, non, dans une grande salle, de torture ! intégralement noire, juste assez éclairée pour en montrer le décor : toutes sortes d’outils de travail, d’inquisiteur attardé, et puis encore, au beau milieu de la pièce, un établi de boucher presque vulgaire, qui fait tache, de sang, séché, garanti cent pour cent naturel. Seul anachronisme, de petites caméras aux quatre coins du plafond. Mais là, au beau milieu de celui-ci, suspendus à une cordelière dorée, enfilés comme des perles, plutôt trente que vingt sexes masculins, comme embaumés !

Pas le temps de s’effondrer d’effroi car, toujours derrière lui, le guide ordonne, après avoir ostensiblement jeté son peignoir aux pieds de Pierrot:

« Retourne-toi, regarde-moi ! »

Face à spectacle encore plus épouvantable, s’il est possible, Pierrot est cette fois près de s’évanouir, son cœur ne bat plus, il tonne !

C’est que l’homme a tout simplement disparu ou plutôt s’est métamorphosé en un gigantesque lézard dressé sur ses pattes arrière, debout comme un homme, mais la peau est affreusement cailleuse : immense rire sardonique et guttural encore, de bête et d’homme tout à la fois, avant cet humour littéralement ravageur :

« Et alors qu’en dites-vous, cher ami ? »

Qu’est-ce qui est ou qui est-ce qui est devant Pierrot ? Non, ce n’est plus un homme, c’est tout sauf un homme mais quelque chose, pas loin d’être quelqu’un pourtant à la rigueur, un être qui a la stature d’un homme, qui s’exprime comme un homme mais qui n’a plus rien d’un homme. N’empêche, par-delà l’immense répulsion qu’en particulier provoque le visage, hideux entre tous, s’obstine l’irrésistible attraction de ces grands yeux, de reptile !

« Pas mal n’est-ce pas comme effet spécial ? »

Seule la voix n’a pas changé. Pierrot a beau se vouloir brave, il tremble de tous ses membres, et dans cette fraîcheur transpire derechef des pieds à la tête, pour un peu il voudrait être aveugle, ne plus rien pouvoir discerner de ce cauchemar vivant qu’il ne peut tout autant s’empêcher de regarder. Il regarde même comme il n’a jamais regardé, le Pierrot, et d’abord cette impressionnante turgescence, au bas du ventre, pour le moins bien réelle, et ensuite, et pour ainsi dire davantage encore, cette incontestable queue de lézard, là entre les pattes ou les jambes, jusqu’aux jarrets !

« La belle et la Bête, en version originale ! » continue la bête, tout en se rapprochant de la belle.

Pierrot voudrait s’enfuir, il se met à courir mais le mur s’est refermé, c’est tout ce qu’attend l’homme lézard, qui, aussi agile qu’un vrai lézard, se détend et se jette sur sa proie, la faisant tout à la fois rouler sur le pavé et pousser le plus inhumain des hurlements qui soit. Même les doigts qui l’empoignent ne sont pas des doigts, cailleux, palmés, griffus qu'ils sont. Mais davantage encore que la douleur quand ceux-ci s’enfoncent un peu dans sa chair, c’est le froid qui fige Pierrot, le froid de ce corps de reptile quand celui-ci vient à écraser le sien. Et plus froid encore que rugueux, le phallus qui s’intercale, et plus froide encore que râpeuse, la langue, qui vient à lécher tout à la fois gouttes de sueur et de sang.

Pierrot voudrait mourir. Vit-il encore seulement ? Est-il déjà fou ? Il n’a même plus la force de se le demander, il attend, il attend, l’inqualifiable, le plus que la mort, deux ou trois secondes éternelles, mais rien d’autre ne se passe. Tout au contraire la bête lâche bientôt la belle, l’abandonne et celle-ci s’enroule alors en fœtus, ultime réflexe de sauvegarde, dérisoire.

Au-dessus de lui la chose simili humaine commente :

« Debout ! elle est déjà finie, la petite plaisanterie. Tout cela que tu redoutes n’est pas pour toi, rassure-toi, tu ne vas pas connaître le sort de tes prédécesseurs, je ne vais pas, toi, te faire souffrir et te terroriser, te rendre ainsi le plus succulent possible car tu es des nôtres d’une certaine façon, jusqu'à un certain point mais remontons au soleil pour en parler plus à l’aise. »

Singulièrement Pierrot s'en trouve tout de suite suffisamment rassuré pour arrêter de s'affoler et sans transition éprouver même un début de sensation opposée, comme si la peur avait cessé et même avait voulu céder la place à une sorte… d'amour!

Et là au soleil, le monologue se prolonge, que Pierrot écoute presque tranquille :

 « Regarde comme c’est amusant ! »

Et il s’amuse de plus belle, l’horrible farceur, à se métamorphoser plusieurs fois de suite, à la vitesse d’un clignoteur : lézard, homme, lézard, homme, lézard, homme…

Et le seul spectateur de l'extraordinaire ose être plus brave que brave, rester juste assez les yeux ouverts, ces quelques secondes d'une représentation unique, de quoi plus que satisfaire, gaver une curiosité jusqu'ici gavée à l'envi de déceptions au point de chercher toujours plus jusqu'à ne plus savoir elle-même quoi chercher.

- Eh bien tu sais déjà tout, tu as déjà tout vu du terrible secret des maîtres de cette planète. Devant vous, pour vous diriger, vous tous nos bons animaux d’élevage, nous sommes comme vous, nous revêtons un corps pareil au vôtre, rien de plus simple mais entre nous bien sûr nous sommes comme nous sommes.

- Ce que j'ai déjà lu, ce que je n'osai jamais vraiment croire.

- Normal, le conditionnement est fait pour s'en servir.

- D’où viens-tu ?

- Qu’importe! de très loin, pour ce que tu connais de la carte universelle de toute manière! Sache seulement que nous sommes des pirates de l’espace et que nous avons établi nos pénates depuis belle lurette sur votre belle planète bleue où le gibier humain abonde, naïf, tendre et faible à souhait. Et puis que serait le bien sans le mal ? Nous avons été accueillis comme des dieux et nous le sommes restés, pourquoi se priver? Toutes les apparences sont pour nous, nous sommes tellement plus intelligents que vous, si peu nombreux soyons-nous, il nous est aisé de manipuler chacun d'entre votre multitude. Notre maîtrise technologique vous est inconcevable: aucun mérite, nous avons une longueur d’avance sur vous, une dimension plutôt, nous sommes de la quatrième et vous de la troisième, dirai-je pour simplifier. 

- Au moins voilà qui est clair, bien tristement.

- N'oublie jamais non plus ce petit détail: quoi qu'il paraisse, dans tout forfait il faut être deux, la victime est toujours plus ou moins complice du coupable.

- Où veux-tu en venir?

- En clair, si nous avons pu vous envahir votre très belle planète et vous asservir, c'est parce que d'une certaine façon vous l'avez permis, cela.

- Mais comment ? J'avoue ne pas comprendre.

-Tout simplement par le fait de votre paresse spirituelle, si au contraire vous aviez en vous tous développé suffisamment de force divine, elle aurait fait barrage, elle nous aurait empêchés de violer votre domicile planétaire et pour longtemps. Il n'y a pas de hasard.

- En somme Dieu l'a permis.

- Parce que vous lui avez permis de le permettre.

- Merci du renseignement.

- Mais aussi, et paradoxalement, nous sommes tellement plus animaux que vous; en somme nous cultivons ces deux extrêmes en parallèle, ce qui nous fait aussi cruels qu’efficaces, et réalistes, et matérialistes. En cela  même nous sommes des handicapés profonds et nous avons beau vous exploiter de toutes les façons, nous n’en sommes pas moins vos inférieurs pour l’essentiel.

- Ah bon ?

- C'est qu'à votre différence nous avons totalement rejeté Dieu, à ce titre vous êtes d’une importance absolument vitale à nos yeux: autant vous n'avez pas besoin de nous ,même si nos progrès techniques vous grisent, autant nous avons besoin de vous: vous avez encore ce que nous n’avons plus, le cœur, autrement dit la porte d’amour qui ouvre sur l’esprit, sur ce qui est. En clair le réel vous est toujours accessible quand nous devons nous contenter de ce qui paraît être, vous êtes toujours capables de bonheur quand nous devons nous contenter du plaisir. Vous détenez toujours la véritable intelligence, spirituelle, nous n'y avons plus accès, mais nous avons d'autant plus développé l'intelligence basse, celle-là qui se limite au champ de la matière. Vous nous êtes donc de loin supérieurs vous qui êtes toujours complets mais nous avons pu suffisamment manipuler les éléments inférieurs de vos êtres pour vous couper de vos hauts pouvoirs souverains.

- Vous nous avez rendus pareils à vous.

- Mieux que ça, nous vous avons fait croire que vous êtes inférieurs à nous puisque sur le seul plan qui vous reste accessible nous avons effectivement une confortable avance sur vous.

- Supériorité dans l'inférieur qui vous a permis de nous asservir.

- Mieux encore, de nous nourrir de vous, et pour commencer de ce à quoi vous ignorez grâce à nous avoir toujours accès, au trésor sans prix qu'est ce qui seul est, l'éternel divin quand nous nous en sommes, nous, si bien coupés que nous ne savons même plus si nous pourrons jamais le retrouver, nous, à supposer qu'il nous en revienne jamais un jour l'envie.

- Comment expliquer cette folie à la limite bien plus désastreuse encore pour vous que pour nous?

- L'audace des audaces, l'orgueil des orgueils, l'ivresse des ivresses, vouloir l'impossible, l'inconcevable, surpasser l'insurpassable, l'inversion totale, impensable, la créature qui surpasse le créateur et fait de sa création à lui sa création à elle.

- Vous en payez le prix et vous nous en faites payer le prix.

- Arrête tes sordides réflexions de boutiquier trop économe de ses talents, laisse-toi un instant emporter par la folie de ceux qui comme moi veulent aller plus loin qu'au bout des leurs.

- Y compris jusqu'à la catastrophe finale!

- Qui te dit qu'il y aura catastrophe finale? Qui te dit même que le créateur ne nous laisse jouer jusqu'au bout ce jeu dangereusement insensé que parce qu'au final il y trouve lui-même aussi supplément ou diversification d'ivresse et que la création y trouverait à se perfectionner et se grandir!

- Hypothèse hardie mais tout est envisageable, au vrai nous ne savons rien de Dieu.

- La culture d'idéaux ordinaires rend la création trop molle, incapable de sortir d'elle-même et le mal n'est jamais que du bien à l'envers, et l'un et l'autre ne sont que des jouets provisoires, abandonnés dès qu’ils ne sont plus nécessaires. Peut-être bien même qu'à notre stade de la compétition le mal est plus stimulant et plus efficace que le bien.

- Parce qu'il est entretenu comme tu l'as dit par la témérité absolue, par la poursuite à toutes forces du plus sacrilège des sacrilèges, de l'idéal le moins idéal: devenir Dieu à la place de Dieu! Quant à moi je préfère camper sur mes positions, ne t'en déplaise, je préfère m'en tenir à ma petite sagesse ordinaire, à ma résolution sans comparaison avec la tienne, me contenter de vouloir devenir Dieu, pareil à lui, bien patiemment d'étapes en étapes.

- Ce n'est après tout pas déjà si mal! Chacun sa voie, chacun sa façon d'utiliser son être. Et puisqu'à ta façon tu m'y invites revenons à nos moutons que vous êtes et résumons les épisodes précédents.

Contrairement au nôtre, votre physique est proche de la perfection mais tout le reste, nous veillons à le maintenir en friche. À votre différence nous n’avons plus ni morale ni scrupules, ni états d’âme ni émotions. Vous êtes notre nourriture à la fois physique et spirituelle. Vous êtes le seul contact divin qu'il nous reste et tout en même temps vous êtes nos parfaits instruments de travail matériel.

- Pour le moins la reconnaissance ne vous étouffe pas! Nous ne sommes que du bétail pour vous!

- Comme le sont pour vous vos ovins, vos bovins, vos poulets de batterie. Et comme vous mangez vos poulets de batterie, nous vous mangeons, de toutes les façons, à votre insu. Triste nécessité alimentaire

- Que des humains mangent d’autres humains, c’est quand même bien autre chose.

- Mais non, mais non, vous mangez, vous, de futurs humains, c’est toute la mince différence. Votre faiblesse nous renforce.

- Admettons !

- Et puis à la vérité nous ne vous mangeons guère vraiment : laissés vivants, vous êtes bien plus nourrissants, vous nous faites tout simplement vivre, vous nous donnez bien malgré vous votre énergie subtile, spirituelle, à nous qui en sommes privés.

- Dans la souffrance qui plus est.

- C’est de fait la meilleure forme de transfusion de vos énergies.

- D'où toutes ces usines à terreur et souffrance en continu et partout, toutes tailles, guerres mondiales ou non, famines, pollutions, catastrophes, injustices, inégalités, jusqu'à cette cave de torture.

- Sans oublier tous les conditionnements personnels permanents, petits et grands, le pire étant de vous donner à croire que vous êtes libres, vous nos parfaits esclaves, ou encore que vous savez, vous qui êtes ignorants de tout l’invisible, c’est-à-dire de pratiquement tout !

- De fait, comment pourrait se libérer qui n’a même pas conscience d’avoir à le faire  et comment pourrait vouloir savoir qui croit savoir?

- Je ne te le fais pas dire ! Et l'ignorance de l'ignorance, la pire des ignorances!

- Situation sans issue ?

- Jusqu’à aujourd’hui indiscutablement !

- Mais encore ?

- Nos ennemis sont extérieurs, vos “bons” qui sont nos “mauvais”, et d’un niveau qui leur permet de faire mieux que rivaliser avec nous, et la bataille décisive approche, de cette guerre cosmique interminable dont les petits terriens n'ont nulle idée dès lors que de la science-fiction ils ne retiennent que la fiction.

- D’où votre présent acharnement ?

- Mets-toi à notre place !

- Comment t'appelles-tu?

- Mon nom ne t'apprendrait rien. Il vibre sur une fréquence qui t'est inaccessible.

- Mais pourquoi m’épargnes-tu et me révèles-tu tout cela ? Pourquoi ne me cuisines-tu pas comme tous les jeunes garçons qui m'ont précédé ici? Ne serais-je pas à ton goût?

- Tu es mon fils.

- Quoi? Ton fils! Ai-je bien entendu?

- C'est pourtant la vérité. Cette petite annonce excitant ton animalité, c'était le seul moyen de t'attirer à moi et de t'apprendre, in extremis, la vérité. Jeu d'enfant en effet pour nos généticiens - c'est le cas de le dire - que de remplacer les semences de mâles terrestres par les nôtres; par ailleurs ta mère est vénusienne.

- Ma mère est vénusienne, pourtant je n'ai jamais pu l'aimer vraiment.

- Ta moitié reptilienne t'en empêche.

- C'est horrible!

- Mais pas désespéré.

- Je n'ai pas d'amour pour toi, je ne peux donner ce que je n'ai pas. En quittant Dieu j'ai quitté l'amour. Tu es pour moitié comme moi et pour moitié comme ta mère,  ce que tu as reçu d'elle te laisse, à ma différence, ouvert à l'amour.

- Acceptons en l'augure. Et il y a donc ici d’autres étrangers que vous ?

- Oui, de toutes origines et de toutes qualités et capacités, ennemis ou amis.

- Peut-être un tiers du cheptel total,

- Bref, je suis donc un être hybride, à la fois reptilien et vénusien?

- Exactement! En toi, les extrêmes du vertueux vénusien et du bestial reptilien se rejoignent, ce n'est pas toujours simple à gérer, j'en conviens. Reste que comme déjà dit et même si tu n'en as pas conscience, tu es toujours uni à Dieu et puis tu as un corps magnifique, vénusien, comme tous les Terriens. Je ne peux en dire autant.

- Mais pourquoi m'as-tu engendré?

- Raison avant tout pratique comme toutes les nôtres. Nous avons beau occuper, sous les bannières les plus diverses, tous les postes-clefs, politiques, économiques, financiers, industriels, médiatiques, religieux, sportifs, artistiques, que sais-je encore ? nous n’en sommes pas moins trop peu nombreux, là tout en haut de la pyramide hiérarchique, pour pouvoir vraiment régner sur cette planète. Nous avions besoin d'un personnel sûr et qualifié, pour encadrer la masse servile des terrestres d'origine, alors nous avons procédé à des croisements avec les meilleurs souches indigènes et aliénigènes du cru.

- Je ne suis donc pas ton seul fils, loin s'en faut peut-être même, famille nombreuse, ta famille?

- N'exagérons rien. Secret professionnel de toute manière. Pour rappel tu es comme moi par moi et tout en même temps potentiellement plus que moi.

- Je n'en sais rien.

- Tu n'en savais rien jusqu'à maintenant.

- Étranger d’élite, hybride fort techniquement et fort opportunément conçu, du nombre de tous tes parfaits collaborateurs. Vous avez fait les pires de ceux qui auraient pu être les meilleurs.

- Notre alchimie est plus subtile et complexe que cela, et les mélanges qui en résultent tout pareillement. Il ne faut pas juger trop vite, tu ne détiens pas tous les éléments du problème, loin s’en faut même ; je me borne à t’inculquer au plus vite l’essentiel de l’essentiel, à charge pour toi d’en déduire ensuite le détail de plus en plus précis.

- Merci du renseignement, mais au moins je me comprends déjà mieux.

- Eh oui, toi et tous tes extrêmes, à la fois si bestial et si grandiose, te sentant tellement mal à l’aise au sein des infrastructures terrestres, tellement différent aussi de la plupart de tes congénères, toujours mal assis entre illusion et réalité, entre matière et esprit, entre  bien et mal.

- Constitutivement autre, je n’ai donc guère de mérite à m’éprouver moi-même et à juste titre différent des autres, voire même supérieur à beaucoup et à en éprouver secrètement de l'orgueil alors que, parallèlement, les autres me jugent tout pareillement différents et plus que souvent inférieurs à eux en vertu de l'échelle de valeurs dont leur état de conscience les a dotés.

- Nous sommes logés à la même enseigne, chacun à notre étage. À t'élever toi, tu finiras par réussir à  élever ceux qui te précèdent comme ceux qui te suivent. À sortir de ton hypnose tu contribueras à faire sortir les autres de la leur d'hypnose.

- Hypnose qui n'est jamais que la vôtre au demeurant mais brisons-là. En définitive, pourquoi suis-je ici devant toi? Pour seulement apprendre que j'ai un père qui ne peut être mon père?

- Avant tout pour bien plus généralement témoigner, informer, donner à réfléchir. Au risque de me répéter, peut-être qu’avec le recul l’expérience que nous menons depuis si longtemps sur Terre se déchiffrera autrement et que bourreaux comme victimes de ce jeu pourront au décompte final en apprécier également les substantiels dividendes.

- Tout de même, quel merdier vous avez fait de la Terre !

- Il faut de tout pour faire un univers et brasser la matière jusqu’à ce qu’elle puisse ajouter de la valeur à l’esprit, et par là de l’être au non être, du manifesté au non manifesté. Les mondes d’évolution n’ont pas d’autre fin. J’aurais tant à t’expliquer encore mais tu en sais déjà assez, surtout il nous faut faire vite, nous séparer, partir avant qu’il ne soit trop tard, avant que les policiers, qui ont presque trouvé, ne fassent irruption.

- Ah oui?

- Tu es arrivé à pic. Rien n'est le fait du hasard: le metteur en scène du théâtre de la vie est plus que génial!

- In extremis, m'as-tu dit?

- Le plan divin prévoit de vous faire bientôt passer de la troisième à la cinquième dimension, sans transition. Or nous sommes de la quatrième, nous deviendrions vos inférieurs, impensable. Il nous faut partir.

            Mais avant cela écoute néanmoins mon premier et dernier conseil de père, si indigne soit-il. Développe ton côté vénusien, combats ton côté reptilien, c'est tout ce que tu as à faire.  Alors tu pourras rester sur terre et jouir de la félicité de l'âge d'or qui s'y annonce. Mais le temps presse: des policiers vont arriver…

- Mais partir comment ? Où est ton vaisseau spatial?

- Dans ma tête, ma pensée peut le produire instantanément! Adieu, mon fils!

Trop bouleversé, Pierrot ne put rien répliquer ni esquisser le moindre geste en réaction, comme statufié. Il aurait tant voulu se jeter dans les bras de son père, une fois, une seule fois qui durerait toujours mais devant lui il n'y avait qu'une indifférente immobilité, qu'une intelligence de marbre, devant Pierrot il n'y avait rien. Tout ce qu'il trouva néanmoins encore à faire comme un automate, fut, héroïquement, de décrocher et enfiler à la hâte ses vêtements, avant de se saisir aussitôt après de son vélo et de s'en aller sans se retourner, interminablement, déchiré à l'extrême, avec une envie tout aussi folle de rester mais non impossible, aucun sentiment ne répondrait à son sentiment, c'était peut-être le plus insupportable, le plus insoutenable, son père n'avait fait que l'engendrer, de l'amour il n'en subsistait en lui que l'acte animal, à cet humain il ne manquait guère que l'essentiel, le cœur! Souffrance absolument insupportable pour un fils n'ayant pour père qu'un grand vide, qu'un gouffre béant incapable à jamais de l'aimer, lui son fils, comme d'aimer quiconque ou quoi que ce soit. Rompre son cordon divin, quel plus grand mal peut-on se faire ? …

À peine avait-il repris la route, Pierrot, que de la vallée monta un bruit de moteur. Il n'eut que le temps de se jeter, lui et sa monture, dans les fourrés. Deux jeeps d'un bleu sombre apparurent bientôt, bourrées de policiers armés jusqu'aux dents, qui allèrent s'arrêter devant le manoir.

Aussitôt après comme un bruissement au-dessus de lui. Il leva la tête et ce fut pour voir une cloche géante, pleine, de peut-être 5 mètres de diamètre de fond, à peut-être cinquante mètres d'altitude, scintillante, immobile, avant de s'élever dans les airs à une vitesse fulgurante et de disparaître.

FIN